Arrêt du 13 mars 2019, droit des sociétés, responsabilité spécifique du dirigeant, actionnariat, groupement de sociétés, responsabilité de la personne morale, article L 225-252 du Code de commerce
L'arrêt en question est rendu dans le contexte d'un couple d'individus actionnaires d'une société holding, société anonyme détenant une participation dans deux autres sociétés. Par ailleurs, trois autres individus sont membres du directoire de la société mère et d'une de ses sociétés filles, l'un d'entre eux cumulant ces mandats avec celui de la gérance de l'une des sociétés filles.
Pour certains actes de gestion réalisés par lesdits membres des directoires — et gérants — dans le cadre de leurs mandats, le couple actionnaire forme une action sociale ut singuli à leur encontre et les assigne en réparation des dommages subis aussi bien par la société mère, que par les sociétés filles.
À la suite d'une procédure auprès des juges du fond, le couple d'actionnaires forme un pourvoi en cassation de l'arrêt d'appel ayant déclaré irrecevable l'action ut singuli qu'ils ont intenté à l'encontre des trois individus sus évoqués.
[...] Dès lors, il devient compréhensible de considérer cette décision du 13 mai 2019 comme l'expression de la réticence de la Haute Juridiction à moderniser son acception du groupement de sociétés et des phénomènes juridiques qui peuvent s'y produire : la défense des intérêts de la personne morale par ses représentants légaux - en l'occurrence la société par ses associés - n'est qu'anodine en Droit commun des sociétés, les procédures prévues sont légion. La Cour de cassation se refuse à ouvrir l'action ut singuli à ces associés. L'arrêt se comprend d'une certaine manière : une jurisprudence constante tend à refuser la tierce opposition d'un associé à une procédure portée à l'encontre d'une société et dans laquelle il n'est pas partie à l'origine. [...]
[...] Mais il est clair qu'il n'en serait pas de même pour des structures bien plus importantes : quid de l'action ut singuli menée par Bernard ARNAULT, associé majoritaire de la société holding dénommée LVMH, à l'encontre des dirigeants de sa filiale la plus lointaine, petite société de préparation de commandes ? L'enjambement des liens de participation qu'entretiennent plusieurs sociétés d'un même groupement se révèlerait probablement bénéfique dans la protection et la préservation de leurs intérêts communs lorsqu'elles sont peu nombreuses ; mais impossible lorsque la juridiction qui statue pour un litige s'y rapportant se trouve face à une structure aussi importante que les grands groupes de sociétés. [...]
[...] Cour de cassation, chambre commerciale mars 2019, n°17-22128 Les poursuites en responsabilité du dirigeant sur le fondement de l'action ut singuli sont-elles en capacité de dépasser les limites ténues de la simple société pour s'étendre à la notion nébuleuse du groupement ? En 2003, le Professeur Michel GERMAIN se demandait s'il était « souhaitable de rendre à ce point difficile l'action sociale ut singuli quand l'examen de la situation mondiale [ . ] montre qu'ailleurs, les victimes peuvent trouver des droits plus accueillants », en complétant « le Droit ne suffit pas à une crise de confiance ». [...]
[...] Les associés d'une société mère qui n'a pas subi de préjudice de la part des dirigeants mis en cause ne peuvent donc pas se prévaloir de la réparation de dommages subi par la filiale. Là se trouve la limite de l'action ut singuli. Pour autant, et c'est justement tout l'objet de l'analyse, les magistrats de la Cour de cassation n'ont manifestement pas recherché la réparation du préjudice qu'a subi, ou qu'aurait pu subir, la société mère par transfert de dommage, par ricochet en quelques sortes - il en résulte un acte manqué par la Haute Juridiction, de modernisation de l'action menée au sein d'un groupement. [...]
[...] intenter l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général ». Dès lors, en continuité avec ce qui a été évoqué précédemment, le continuum juridique français, et en l'occurrence, la Cour de cassation, ne tolère pas l'idée d'une analogie, voire d'un rapprochement, entre le Droit commun des sociétés, et les règles applicables aux groupements de sociétés, qui continuent alors d'incarner une notion nébuleuse. Partant, il est possible alors d'y voir la favorisation de l'impunité des dirigeants de strates différentes au sein d'une structure complexe de sociétés. [...]
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