Comme l'écrivait le doyen Carbonnier, « le temps des juristes n'échappe pas plus que celui des physiciens au grand principe de la relativité ». Il est donc nécessaire d'adapter la durée d'un délai, qu'il soit de fond ou de procédure, pour éviter qu'il en devienne trop court ou trop long. A cet effet, le droit a fixé des durées diverses mais parallèlement a multiplié les obstacles à l'écoulement du temps, que ce soit par la suspension ou par l'interruption, qui “efface la période antérieurement écoulée » (A. Viandier). Or la multitude de délais aboutit parfois à des situations qui peuvent être complexes à gérer pour les différentes juridictions qui ne savent alors plus précisément quel délai appliquer dans une situation déterminée.
Tel est le cas de la présente affaire qui pose le problème de la nature de la prescription courant après qu'un jugement ait arrêté la prescription initiale, tout cela dans le cadre d'un contentieux relatif à la demande en paiement d'une indemnité d'occupation d'un local après qu'une décision judiciaire a reconnu l'existence d'une créance et en a déterminé le montant.
En l'espèce, un premier jugement en date du 16 mars 1993 a ordonné l'expulsion de M. et Mme X du logement qu'ils occupaient sans droit ni titre, appartenant à l'Office public d'aménagement et de construction de Paris (OPAC) et a fixé l'indemnité d'occupation due jusqu'à la libération des lieux. Puis, le 25 juin 2001, l'OPAC a assigné les époux X en paiement des indemnités d'occupation dues depuis la date du jugement jusqu'à celle de leur expulsion.
L'OPAC a formé un pourvoi contre l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris en date du 26 juin 2003, en soulevant un moyen unique, développé en deux branches, considérant qu'en faisant application de la prescription quinquennale de l'article 2277 du Code civil, la cour d'appel aurait violé tout à la fois ce texte, par fausse application, et l'article 2262 du même code, par refus d'application.
Le jugement rendu par le tribunal d'instance en date du 16 mars 1993 a reconnu l'existence d'une dette et en a déterminé son montant. La question posée, sous des angles différents par les deux branches du moyen, est donc de déterminer quelle doit être la prescription applicable à l'action tendant à l'exécution d'un jugement condamnant au paiement d'une créance périodique. Plus précisément, le délai de la prescription courant à la suite de ce jugement est-il celui de la prescription quinquennale prévu par l'article 2277 du Code Civil pour les créances périodiques ou celui, trentenaire, édicté par l'article 2262 du Code Civil ?
Les conséquences peuvent être très importantes en pratique. Selon que la prescription à prendre en considération est celle, trentenaire, de l'article 2262 du Code civil comme précisé par le pourvoi ou au contraire celle quinquennale de l'article 2277 comme l'a décidé l'arrêt attaqué, le créancier pourra réclamer le paiement de tous les arriérés des créances périodiquement échues pendant trente ans ou seulement ceux des créances échues durant les cinq dernières années. De fait, la situation financière du débiteur pourra être soit aggravée soit au contraire soulagée.
C'est en formation solennelle, dans un arrêt d'assemblée plénière en date du 10 juin 2005, que la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi considérant que, nonobstant le fait que « le créancier puisse poursuivre pendant trente ans l'exécution d'un jugement condamnant au paiement d'une somme payable à termes périodiques, il ne pouvait, en vertu de l'article 2277 du Code civil, du fait de la nature de la créance, obtenir le recouvrement des arriérés échus plus de cinq ans avant la date de sa demande. »
Ce faisant, la Cour de Cassation dans cet arrêt, en opposition avec la quasi automaticité de l'application de la théorie de l'interversion de prescription en matière de jugements de condamnation (I), consacre s'agissant de créance périodique, une prescription quinquennale en adéquation avec les évolutions juridiques de notre temps (II).
[...] Or, ces deux notions différentes pourraient coexister en présence de deux demandes à objet différent incluses dans une même action. Tout d'abord, un jugement a créé une obligation à la charge d'un débiteur, en tenant compte de la prescription correspondante à la créance et se limitant aux périodes comprises dans le délai de prescription. Par contre s'agissant de l'exécution même de la décision de justice visant à obtenir le paiement des sommes prévues, le créancier peut agir tant que le jugement n'est pas prescrit, soit à défaut d'un autre délai, pendant la durée de la prescription de droit commun. [...]
[...] Dès lors, la Cour de Cassation a pris en compte chacune des prescriptions selon son domaine d'application. Ainsi, l'exécution du jugement peut être poursuivie pendant la durée de sa prescription (trente ans), mais cette exécution ne pourrait jouer, pour les créances périodiques visées à l'article 2277 du Code civil, que si celles-ci ont moins de cinq ans. A titre d'exemple, si un jugement en date du 1 janvier 2006 a condamné un débiteur à payer des loyers, le créancier aura, hormis les cas d'interruption ou de suspension du délai de prescription, jusqu'au 1er janvier 2036 pour poursuivre son exécution. [...]
[...] Il ne traite que l'hypothèse du rejet de la demande (Article 2274 du Code Civil). En ce qui concerne la doctrine, on peut remarquer que le fondement sur l'idée d'une novation a été plusieurs fois reprise (A. Viandier, Les modes d'interversion des prescriptions libératoires Précisément, selon cet auteur, la doctrine est presque unanime à admettre l'interversion de prescription mais reste partagée sur sa justification. L'interversion des prescriptions se définissant comme étant la substitution du délai de prescription de droit commun fixé à 30 ans au délai spécial qui régissait la situation initiale. [...]
[...] Autrement dit, il pourrait être soutenu que le jugement n'a pas prononcé de condamnation et que l'assignation délivrée le 25 juin 2001 par l'OPAC à M. et Mme Y constitue en réalité la première et unique demande en condamnation des défendeurs à payer des indemnités d'occupation. Telle ne paraît cependant pas avoir été l'analyse faite par l'arrêt attaqué du 26 juin 2003. En effet, dès lors que la cour d'appel retient qu'une indemnité d'occupation mensuelle a été préalablement et judiciairement fixée, l'action en paiement de cette indemnité d'occupation est soumise à la prescription quinquennale, non du fait de l'absence de condamnation résultant de l'énoncé du jugement du 16 mars 1993 mais de la détermination qu'elle en a faîte de la prescription à appliquer. [...]
[...] II) L'exception : la prescription applicable à l'exécution d'un jugement condamnant au paiement d'une créance périodique La décision rendue par la Cour de Cassation constitue une exception au principe d'interversion de prescription suite à l'exécution d'un jugement une décision pouvant s'expliquer notamment par le mouvement suivi par la Cour de Cassation visant à circonscrire le champ d'application de la prescription trentenaire jugée inadaptée aux évolutions juridiques de notre temps La consécration de la différence entre les actions en paiement et les actions en exécution d'un jugement antérieur Outre la reprise de la prescription initiale et l'application de l'interversion de prescription, il était possible de se demander s'il n'existait pas une autre voie susceptible de résoudre les contradictions que l'une comme l'autre théorie pouvait entraîner. En effet, la théorie liée à l'effet strictement interruptif du jugement semble partir de l'idée que l'action initiale en paiement se poursuit après l'interruption et qu'elle n'a donc changé ni d'objet ni de nature postérieurement au jugement de condamnation. Au contraire, celle qui conclut à l'interversion de prescription repose sur l'idée d'exécution du jugement initial. [...]
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