Dans le contentieux de la consommation, le litige met la plupart du temps en présence un professionnel, qui agit en paiement, et un consommateur qui très souvent ne comparait pas ou comparait seul mais ne se défend pas réellement.
La tentation de certains juges ici est de venir en aide à la partie qui ne comparait pas ou qui se défend mal et donc à faire d'office application des règles protectrices du consommateur.
Sur ce point, la jurisprudence française et communautaire reste contradictoire et les juges peinent à trouver un terrain d'entente.
L'arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) du 27 juin 2000 ainsi que l'arrêt de la cour de cassation du 15 février 2000 sont une illustration de cette controverse.
Dans l'affaire Océano groupo editorial, traitée par la CJCE le 17 juin 2000, les faits se déroulent en Espagne : le tribunal de 1ère instance avait été saisi de plusieurs litiges de nature similaire dans lesquels des consommateurs avaient acheté une encyclopédie à tempérament à des éditeurs spécialisés. Suite au non paiement des sommes dues aux échéances convenues, les sociétés éditrices ont agi en paiement devant leur propre juridiction.
En effet, tout le problème résidait sur le fait que les contrats comportaient tous une clause attribuant compétence aux juridictions de la ville dans laquelle les sociétés éditrices avaient leur siège. Or les acheteurs ne résidant pas dans cette ville, cela pouvait constituer un obstacle de fait à l'exercice du droit d'agir en justice.
Il est à préciser que l'instance était engagée avant la transposition en droit espagnol de la directive du 5 avril 1993 sur les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.
C'est pourquoi les juges de 1ère instance ont décidé de saisir la CJCE d'une question préjudicielle : il s'agissait de savoir si la protection que la directive de 1993 assurée aux consommateurs permettait au juge national d'apprécier d'office le caractère abusif d'une clause du contrat soumis à son appréciation lorsqu'il examine la recevabilité d'une demande introduite devant les juridictions ordinaires ?
Donc le juge espagnol cherchait à savoir s'il pouvait relever d'office une clause abusive attributive de compétence juridictionnelle et ce sur le fondement d'une directive communautaire.
Pour répondre à ce problème d'interprétation, la CJCE adoptera un raisonnement en 2 temps :
Elle se demandera d'une part si la clause peut être considérée comme abusive d'après les critères posés par la directive. D'autre part, elle cherchera à savoir si cette directive communautaire autorise et/ou impose l'intervention d'office du juge dans cette matière.
Une grande partie de l'arrêt sera aussi consacrée à l'interprétation des dispositions de droit national à la lumière du texte et de la finalité de la directive. Mais cette question ne sera pas traitée ici, ne représentant pas un grand intérêt au regard de notre sujet.
Par son interprétation extensive de la directive sur les clauses abusives, la CJCE va reconnaître au pouvoir d'office au juge dans cette matière. Cet arrêt montre donc cette volonté communautaire d'octroyer au juge un pouvoir de relever d'office en matière de clause abusive.
Cette volonté n'est toutefois pas toujours poursuivie par les juridictions françaises : dans un arrêt du 15 février 2000, la 1ère chambre civile vient restreindre le pouvoir du juge de relever d'office la nullité d'un contrat entaché d'un vice de forme.
En l'espèce, une société créancière avait prêté un véhicule en location avec option d'achat à un particulier. Celui-ci avait cessé de payer son crédit à la consommation suite au vol de ce véhicule. La société créancière a donc porté l'affaire en justice.
Pour débouter la société créancière de sa demande, la cour d'appel avait relevé d'office un non respect du formalisme nécessaire en matière de crédit à la consommation.
Comme dans l'arrêt de la CJCE, les défendeurs n'avaient pas comparu devant la Cour d'appel.
La question était ici de savoir si les juges du fond étaient en droit de relever d'office une nullité d'intérêt privé. En répondant négativement à cette interrogation, la cour de cassation va arrêter un principe jurisprudentiel largement contesté par les juges d'instance et par les juges communautaires qui souhaitent étendre davantage leurs pouvoirs pour garantir une meilleure protection des consommateurs.
Ces deux affaires, bien qu'elles portent sur des faits distincts : l'une sur un contrat comportant une clause abusive attributive de compétence juridictionnelle, l'autre sur un contrat entaché d'un vice de forme, se ressemblent en ce qu'elles conduisent à se poser la même question :
Dans quelle mesure le juge a le pouvoir de relever d'office un nouveau moyen de droit non invoqué par les parties au litige ?
C'est précisément sur ce point que les juges nationaux et communautaires sont en désaccord.
Nous traiterons donc dans un premier temps de la controverse que ces deux arrêts révèlent sur la question de l'étendue des pouvoir d'office du juge (I).
Dans un second temps, il convient de s'interroger sur l'incidence de la jurisprudence communautaire sur le droit national en la matière (II).
[...] Commentaire comparé: Arrêts Océano Groupo editorial, CJCE 27 juin 2000 et Cour de cassation, Civ. 1ère 15 février 2000 Dans le contentieux de la consommation, le litige met la plupart du temps en présence un professionnel, qui agit en paiement, et un consommateur qui très souvent ne comparait pas ou comparait seul mais ne se défend pas réellement. La tentation de certains juges ici est de venir en aide à la partie qui ne comparait pas ou qui se défend mal et donc à faire d'office application des règles protectrices du consommateur. [...]
[...] Subsidiairement, le principe de la liberté contractuelle commande qu'il n'y est pas de contrôle systématique et à priori de la validité des contrats. Or, si on permet au juge, quand le défendeur n'articule pas ce moyen de droit, de relever d'office des moyens relatifs à la validité du contrat, on autorise de ce fait un contrôle préalable de la validité du contrat et ce alors qu'elle n'est pas contestée. Si la difficulté de mettre en œuvre la solution communautaire en droit national parait justifier la position de la cour de cassation sur l'étendue des pouvoirs d'office des juges, cette restriction n'en est pas moins contestable. [...]
[...] Les moyens d'ordre public de protection doivent donc en principe être exclusivement relevés par les partis protégés par cet ordre public. C'est pourquoi la cour de cassation a censuré la décision de la cour d'appel. En droit français, la nature de la nullité constitue donc le critère exclusif de détermination des pouvoirs du juge à relever d'office cette nullité. Si les juges du fond français et les juges d'instance espagnols tâtonnent et semblent incertains quant à l'étendue de leur pouvoir d'office, la cour de justice des communautés européennes elle a une position claire, favorable aux consommateurs. B. [...]
[...] Par conséquent, le non respect des règles de formes imposées par le code de la consommation a pour conséquence la nullité d'ordre public du contrat. Ils ont donc appliqué le droit positif qui fait peser une obligation sur les juges de relever d'office la nullité à chaque fois que la règle transgressée tend à la protection de l'intérêt général. La cour de cassation casse et annule toutefois cette décision au motif que les juges du fond n'avaient pas à relever d'office l'irrégularité de forme du contrat litigieux car la méconnaissance des exigences posées par le droit de la consommation ne peut être opposée qu'à la demande de la personne que ces dispositions protègent. [...]
[...] Il y a contradiction entre la jurisprudence française et celle communautaire qui au moins sous l'angle des clauses abusives a admis que le juge devrait relever d'office des règles protectrices. La cour de cassation devrait faire évoluer sa jurisprudence dans le sens de la cour de justice dans les prochaines années. C'est déjà ce qu'elle a fait dans un arrêt de novembre 2004 dans lequel elle admet que les juges nationaux puissent relever d'office les clauses abusives mais pas les autres dispositions. [...]
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