Le droit de rétention se révèle être un mécanisme juridique fruste. Contraire à toute idée de Justice, contraire à l'essence même de cette dernière (intervention préalable du tiers –le juge - à la réalisation d'un droit qui est la le paradigme majeur du principe de Justice depuis l'Antiquité), il offre néanmoins une incomparable sécurité juridique au créancier et favorise par voie de conséquence le crédit. Peu importe les procédures collectives, les procédures de traitement de surendettement des particuliers, la protection qu'il propose au créancier est quasi absolue. Pour autant, en dépit des effets spectaculaires de ce droit, sa nature demeure incertaine. Par un arrêt du 3 mai 2006, la chambre commerciale de la Haute juridiction a eu l'occasion d'en préciser les contours. En l'espèce, une société avait donné en location un véhicule automobile. Le preneur le déposa chez un garagiste afin de le faire réparer mais ne paya pas le prix résultant des travaux. Le garagiste retint la voiture dans l'attente d'être payé. La société loueuse l'assigna en restitution et en dommages-intérêts ; quant au garagiste, il prétendit reconventionnellement au paiement de ses prestations ainsi que de ses frais de gardiennage. Le jugement rendu en première instance reçut les prétentions du demandeur principal et débouta le demandeur reconventionnel des siennes. La Cour d'appel infirma le jugement, fit droit aux prétentions du garagiste mais seulement en ce qu'elles tendaient au paiement de ses prestations. Les juges du second degré rejetèrent celles relatives au paiement des frais de gardiennage au motif qu'elles auraient du être adressées au co-contractant du garagiste (le preneur) et non à la société de location. La Cour régulatrice entre en voie de cassation sur ce dernier aspect de l'arrêt d'appel. Selon elle, en effet, la société de réparation était en droit de s'adresser à la société loueuse en vertu de la qualification donnée au droit de rétention : un droit réel.
Ainsi, les juges de cassation ont du rechercher, pour arriver à une telle solution, le moyen d'unir le garagiste d'une part, et la société loueuse d'autre part, pour créer un lien juridique entre elle et un rapport d'obligation tout en s'inspirant de la nature du droit de rétention. En conséquence, elle consacre le caractère réel de la garantie (I). Cependant, le caractère quelque peu artificiel de cette solution semble contredire celle retenue par l'ordonnance du 23 mars 2006 réformant le droit des sûretés en ses dispositions portant sur cette sûreté (!) (II).
[...] Pourtant, on peut confirmer le caractère sui generis de cette garantie : l'article 2286 pris en son dernier alinéa dispose que le droit de rétention se perd par le dessaisissement volontaire Cette formulation enterre l'hypothèse de son caractère réel. En effet, tout droit de suite se trouve ainsi paralysé. Cela confirme la thèse d'une décision prise en opportunité. Le problème est qu'il en résulte une grande liberté d'interprétation pour la jurisprudence, source d'insécurité juridique. Enfin, M. Revet note que la cour aurait été bien avisée de fonder sa décision sur la théorie des impenses. Il s'agit des dépenses réalisées par le rétenteur au profit de la chose d'autrui. Ainsi, selon M. [...]
[...] Pourtant, les considérations de la cour se trouvent être contestables dans la mesure où la thèse de la réalité semble partiellement fictive. II. La contestable qualification de la Cour de cassation ; le droit de rétention : garantie sui generis à l'efficacité renforcée Après avoir constaté la réalité du droit de rétention, la cour en tire les conséquences quant à tous les tiers conférant ainsi une efficacité sans pareil à une interprétation que l'on peut qualifier de fictive A. Le droit de rétention comme droit réel : une fiction juridique Comme écrit plus haut, intégrer le droit de rétention à la catégorie des droits réels comporte sans doute une part d'opportunité. [...]
[...] Le point commun avec la théorie de droit réel est ce qui lie le tiers au rétenteur : la chose. Par-delà le caractère fictif de la solution de la chambre commerciale, l'enseignement que cette dernière nous délivre nous contraint tout de même à tirer une conclusion : le renforcement de l'efficacité de cette garantie outre toute considération pour les dérogations à l'efficacité des sûretés (ex. : procédures collectives). B. Une efficacité renforcée L'efficacité du droit de rétention n'était déjà plus à prouver. [...]
[...] En revanche, on peut douter du raisonnement. La cour a trouvé un lien de connexité entre la créance et le véhicule qui servira à faire la jonction entre la société loueuse et le garagiste. Elle fonde en effet l'obligation de la première envers le second sur l'obligation réelle. Selon une partie de la doctrine (p.ex. : RTD Civ ; obs : Revet) il y a une obligation entre deux personnes non parties à un contrat parce que l'une a rendu service à la chose de l'autre. [...]
[...] Sauf qu'en l'espèce, l'insécurité ne pèse même pas sur une partie au contrat, mais sur un tiers. Propriétaire certes, mais d'abord tiers qui n'a même pas consenti aux réparations. Il y a là dénaturation du mécanisme du droit de rétention qui ne doit être qu'un moyen de pression contre le débiteur c'est- à-dire contre celui qui est tenu contractuellement. Le créancier, d'une certaine manière, se trouve dans une toute-puissance qui peut, dans ces conditions, lui assurer une sécurité juridique à toute épreuve, tant pis pour le tiers propriétaire. [...]
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