Si le prix de vente doit être en principe déterminé par les parties elles-mêmes (article 1591 du Code civil), l'article 1592 leur permet toutefois de charger un tiers de procéder à cette fixation. La détermination du prix opéré par le tiers est en principe définitive : la force obligatoire de la convention que les parties ont conclue impose cette solution (article 1134 alinéa 1 du Code civil). Cependant, le principe du caractère définitif du prix fixé par le tiers connaît une exception jurisprudentielle, celle d' « erreur grossière » : « seule une erreur grossière commise par ce tiers serait de nature à remettre en cause le caractère définitif de cette détermination » (Cass. Com., 6 juin 2001). Cependant, il est extrêmement rare qu'une erreur grossière soit caractérisée. L'intérêt de cet arrêt est d'indiquer une autre voie : pour la première fois l'arrêt du 4 février 2004 rendue par la chambre commerciale de la Cour de cassation consacre une sanction sur le plan de l'exécution de la mission du tiers tout confirmant l'existence d'une sanction exceptionnelle sur le plan de la formation de la vente.
En l'espèce, l'actionnaire d'une société cède ses parts à une autre entreprise. Les parties conviennent, conformément aux dispositions de l'article 1592 du Code Civil, de confier la détermination du prix de cession à l'arbitrage d'un collège d'experts. Mais, la société cédante, alléguant des erreurs et irrégularités ayant conduit à une sous-évaluation des parts, demande la condamnation des tiers évaluateurs à la réparation du préjudice qu'elle aurait subit, correspondant à la différence entre le prix fixé et la valeur véritable des parts cédées. La Cour d'appel de Paris refuse par un arrêt du 11 mai 2001 de faire droit à cette demande, jugeant que la responsabilité du tiers désigné en application de l'article 1592, par dérogation au droit commun du mandat, ne peut être recherchée que sur le fondement d'une erreur grossière commise dans l'exécution de son mandat, d'autre part que le préjudice causé par la faute du tiers évaluateur ne consiste pas dans la différence entre le prix qu'il a fixé et celui qui aurait dû être retenu en l'absence d'erreurs, mais dans les conséquences financières découlant de ce que la vente n'aurait pas été parfaite ou du retard dans la conclusion définitive de celle-ci. La Cour d'appel conclut à l'inexistence de préjudice en raison de la perfection de la vente, de surcroît non retardée.
La Cour de cassation est saisie par le cédant et doit statuer sur l'exactitude de la solution et des motifs de l'arrêt de la Cour d'appel. Elle doit répondre à la question de savoir si la responsabilité du tiers désigné par les parties à un contrat de vente pour fixer le prix suppose ou non une erreur grossière dans l'exécution de sa mission. En d'autres termes, il s'agit de savoir s'il est nécessaire au cédant de prouver l'erreur grossière, critère de manquement du tiers estimateur ou si la faute simple de la responsabilité civile peut être suffisante pour qu'il y ait reconnaissance d'un préjudice. La chambre commerciale de la Cour de Cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel pour violation de la loi au double motif, tout d'abord et sous le visa des articles 1592 et 1992 du Code civil, que l'erreur grossière est une condition de remise en cause de la détermination du prix et non de la responsabilité du tiers estimateur chargé de celle-ci, par ailleurs et sous le visa des articles 1147 et 1149, que le vendeur est en droit d'obtenir réparation du préjudice que lui cause la sous-évaluation fautive de la chose vendue.
L'originalité de cet arrêt trouve son origine dans le terrain sur lequel le cédant situe sa demande : plutôt que demander l'annulation du contrat, ou la révision du prix après nomination d'un nouveau tiers estimateur, sur le fondement de l'erreur grossière, en émettant une prétention contre le cessionnaire, le cédant assigne les tiers estimateurs en responsabilité. La jurisprudence est bien établie suivant laquelle une erreur grossière du tiers est susceptible d'emporter une remise en cause de la vente. Dans cet arrêt, la Cour de cassation établit une distinction entre l'incidence possible de la faute du tiers estimateur sur la vente elle-même et la question de la responsabilité du tiers estimateur, indépendamment de toute répercussion sur le contrat de vente, à l'égard de ses cocontractants. C'est sur le terrain des relations du tiers estimateur avec chacune des parties à la cession que se situe l'apport de cet arrêt, et ainsi sur les sanctions encourues par ce tiers. La décision est importante par l'affirmation qu'elle pose d'un principe de responsabilité du tiers estimateur pour faute et en ce qu'elle pourrait éventuellement être étendue à l'expert de l'article 1843 – 4 du Code civil en matière de cession ou de rachats de droits sociaux d'un associé, même s'il n'existe pas encore de jurisprudence sur ce point. Dans cet arrêt, la Cour de cassation apporte donc des précisions non négligeables sur la responsabilité du tiers estimateur (I) et sur la réparation du préjudice subi par le vendeur en raison de la sous-évaluation du prix de vente par le tiers estimateur (II).
[...] En effet, en invoquant l'erreur grossière, le vendeur remettra en cause la vente et se retrouvera alors dans la situation qui était la sienne avant la convention initiale, ce qu'il peut ne pas vouloir (même si celui- ci aura la possibilité d'obtenir du tiers estimateur des dommages et intérêts pour réparer le préjudice résultant pour lui du défaut de réalisation de la vente). C'est ainsi que la doctrine souligne qu'un rétablissement de l'équilibre est réalisable par voie conventionnelle par l'ajout de clauses contractuelles limitatives ou élusives de responsabilité du mandataire (J. Moury, Rev. Sociétés ; E. Fischer-Achoura, Petites affiches décembre 2004). [...]
[...] En revanche, selon le droit commun des contrats, pour les fautes lourdes et/ou intentionnelles assimilées au dol, la partie ayant subi un dommage du fait de la sous évaluation du prix en ce qui concerne le vendeur et du fait de la surévaluation du prix en ce qui concerne l'acheteur restera protégé en conservant son moyen d'action en responsabilité contre le mandataire. La mise en jeu de la responsabilité du tiers mandataire reste donc importante. Les parties quand à elles sont protégées de façon très satisfaisant des risques qu'elles prennent en mandatant un tiers chargé de la détermination du prix. En effet, la solution adoptée par la Cour de cassation évite que le mandant supporte la charge de la sous-évaluation fautive du tiers estimateur lui créant un préjudice. [...]
[...] Lagarde le rappelle très justement (Revue des Contrats, 2004), la qualification de la mission de détermination du prix ainsi confiée à un tiers est une question essentielle. L'article 1591 énonce que le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties. L'article 1592 précise qu'« il peut cependant être laissé à l'arbitrage d'un tiers ; si le tiers ne veut ou ne peut faire l'estimation, il n'y a point de vente. Le tiers évoqué à cet article n'est cependant pas un arbitre comme les termes employés pourraient sembler le suggérer, ni un expert comme il en est fait mention dans la présentation des faits de l'arrêt rapporté. [...]
[...] Lagarde, Revue des contrats, 2004). Ainsi, dans l'arrêt rapporté, la Cour de cassation énonce qu'il résulte de l'article 1592 que les parties à un contrat de vente peuvent donner mandat à un tiers de procéder à la détermination du prix Le terme mandat est donc bien explicitement employé ici. De cette analyse traditionnelle découle ce qu'édicte de manière principale la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté : les règles relatives au contrat de mandat s'imposent, en particulier les dispositions concernant la mise en œuvre de la responsabilité du mandataire Les conditions de la responsabilité contractuelle du mandataire La mise en œuvre de la responsabilité du tiers estimateur n'est pas s'en soulever quelques interrogations. [...]
[...] Ce tiers estimateur n'est pas un arbitre car il n'y a ni litige ni pouvoir juridictionnel. Ainsi si l'évaluation du tiers estimateur s'impose aux parties comme le ferait une sentence arbitrale, cela résulte uniquement du principe général de la force obligatoire des contrats (article 1134 du Code civil). Le tiers estimateur ne tranche pas de litige car l'évaluation du prix nécessitera de se prononcer sur des désaccords relatifs à des éléments de fait n'appelant aucune appréciation de droit. L'évaluation du prix n'est donc pas, en elle-même, constitutive d'un différend d'ordre juridique. [...]
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