Cour de cassation du 10 Février 1998, expertise de gestion, intérêts sociaux, article 226 code du droit des sociétés.
Selon A. Pirovano : « La boussole de la société demeure l'intérêt propre des actionnaires et non celui plus large, de la cellule socio-économique. » Dans une large mesure, l'arrêt de la chambre commerciale du 10 février 1998 s'inscrit en faux de ce reproche fait à la jurisprudence par cet auteur.
En l'espèce, un conflit était né entre les associés d'une société de promotion immobilière quant à l'opportunité du rachat par cette dernière d'un immeuble appartenant à la société mère de l'actionnaire majoritaire. Les minoritaires avaient en conséquence présenté une demande d'expertise de gestion dont ils attendaient des éclaircissements quant à la valeur réelle de l'immeuble et aux conditions financières de l'opération. Pour rejeter la requête, les magistrats de la Cour d'appel se fondent sur une argumentation qui renvoie à une ancienne loi de 1966 qui permettait aux associés minoritaires de demander la nomination d'un expert indépendant pour évaluer certaines opérations de gestion. Les tribunaux se cantonnaient alors à une interprétation minimaliste de la disposition exigeant du demandeur qu'il fasse état de fortes présomptions d'irrégularités et qu'il soit préalablement épuisé toutes les voies d'information que la loi lui conférait. L'expertise était envisagée comme une mesure à caractère absolument exceptionnel. C'est à cette conception dépassée que retournait la Cour d'appel en énonçant les deux raisons de son refus. D'une part, la demande d'expertise était décrite comme l'instrument d'une manoeuvre plus vaste tendant à la satisfaction de l'intérêt propre des minoritaires; d'autre part, la nomination de l'expert était supposée provoquer la défiance des partenaires de l'entreprise alors même que le secteur immobilier traversait une crise sévère; Pour écarter l'application de l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966, les juges du fond prenaient donc en compte un élément propre aux règles sociétaires, à savoir, la poursuite d'un but étranger à l'intérêt social et un élément extérieur, à savoir, l'impact de la mesure sur les partenaires d'une société menacée par un environnement défavorable.
La question se posait alors de savoir si l'expertise comme prévue à l'article 226 permettait aux actionnaires minoritaires de recevoir une information indépendante à propos d'une opération de gestion déterminée dont ils estiment qu'elle n'est pas conforme à l'intérêt social et qu'elle compromet par conséquent les droits qu'ils détiennent légitimement dans la société.
La Cour de cassation sanctionne la motivation de la Cour d'appel qui selon elle à mal interprété l'esprit du texte de 1966. Selon la Cour de cassation, peu importe l'intention supposée des demandeurs. En effet en affirmant que les minoritaires ne poursuivent que leur intérêt personnel et en rejetant la demande, le juge d'appel se substitue implicitement à l'expert en ce qu'il justifie l'opération contestée. Cette démarche est sanctionnée par la Cour de cassation pour laquelle de tels motifs « sont impropres à établir que l'acte de gestion concernée n'était pas susceptible de porter atteinte à l'intérêt social et, ainsi, justifier la demande d'expertise ». L'opportunité de l'expertise doit s'apprécier au regard de la nature de l'opération concernée et du sérieux des doutes exprimés sur sa régularité.
Par son attendu de principe très explicite, la Cour de cassation vient d'une part reconnaître la notion d'intérêt social, tout en lui accordant par la suite une protection spécifique.
[...] Peu importe ensuite les mobiles du défendeur : l'expertise peut être ordonnée alors même qu'il ne serait mu que par souci d'assurer la défense de ses intérêts personnels, dès lors que l'intérêt social se trouve par ailleurs menacé. Cette solution, dans la logique du fondement reconnu à l'expertise de gestion, devrait du reste être étendue à l'ensemble des objections que l'on prétend tirer de l'attitude de l'actionnaire demandeur et notamment de la faute qu'il aurait commise dans l'exercice de son droit à l'information. [...]
[...] L'expertise était envisagée comme une mesure à caractère absolument exceptionnel. C'est à cette conception dépassée que retournait la Cour d'appel en énonçant les deux raisons de son refus. D'une part la demande d'expertise était décrite comme l'instrument d'une manœuvre plus vaste tendant à la satisfaction de l'intérêt propre des minoritaires ; d'autre part, la nomination de l'expert était supposée provoquer la défiance des partenaires de l'entreprise alors même que le secteur immobilier traversait une crise sévère ; pour écarter l'application de l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966, les juges du fond prenaient donc en compte un élément propre aux règles sociétaires, à savoir, la poursuite d'un but étranger à l'intérêt social et un élément extérieur, à savoir, l'impact de la mesure sur les partenaires d'une société menacée par un environnement défavorable. [...]
[...] D'une part il souligne, une fois encore, le fondement social de l'expertise de gestion et la fonction de quasi-organe conférée à la minorité. Mais d'autre part, cette solution ouvre à l'expertise un domaine dont l'ampleur doit malgré tout connaître une limite naturelle, absente de l'arrêt commenté, tenant à la constatation d'une information insuffisante. L'insuffisance devant s'apprécier objectivement et non par référence aux diligences du demandeur. L'action fondée sur l'article 226 permet donc bien une protection efficiente de l'intérêt social de la société. [...]
[...] La limite de l'action fondée sur l'article 226 se bornant à la protection des intérêts sociaux Comme nous l'avons vu, le juge dispose d'une grande latitude quant à la marge de manœuvre dont il dispose pour apprécier les motifs visant à recourir à une expertise de gestion. Cependant cette action fondée sur l'article 226 trouve sa limite en ce qu'elle ne permet pas de prendre en compte uniquement les intérêts personnels du demandeur. La défense des intérêts sociaux n'est nullement exclusive de celle des intérêts personnels du demandeur. Même si ces deux objectifs coexistent ordinairement puisque, dans ce domaine comme dans celui voisin, de l'abus de majorité, le demandeur défend, par l'intermédiaire de l'intérêt de la société, ses intérêts propres d'associé. [...]
[...] La consécration du fondement social de l'expertise de gestion Par sa référence exclusive à l'intérêt de la société, l'arrêt de la chambre sociale du 10 février 1998 consacre en effet la thèse du fondement sociale de l'expertise de gestion. Cette thèse est vigoureusement défendue en doctrine par bon nombre d'auteurs, dont certains à l'instar de D.Schmidt vont jusqu'à prétendre que l'action de l'article 226 constitue une action sociale, tandis que d'autres se borne à relever qu'il s'agit d'une action à finalité sociale. [...]
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