La loi du 1er mars 1984 et le décret du 1er mars 1985 relatifs à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises ont prévu une intervention accrue des commissaires aux comptes dans deux domaines : l'information comptable et financière (pour certaines sociétés, rapport sur le tableau de financement, le plan de financement et le compte de résultat prévisionnel) et les procédures d'alerte. Interventions accrues qui ne sont pas sans conséquences quant à la mise en jeu de leur responsabilité.
En effet, dans l'arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 3 mars 2004, la Cour amène des précisions quant à la mise en œuvre de la responsabilité des commissaires aux comptes. Cet arrêt concerne la société Hôtel Royale Renaissance qui a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte en octobre 1993, puis d'une procédure de liquidation judiciaire en avril 1994. Le liquidateur de la société a assigné le commissaire aux comptes, également actionnaire de la société, pour obtenir sa condamnation à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif. Le tribunal a considéré que le commissaire aux comptes avait commis une faute en ne déclenchant pas la procédure d'alerte et a ordonné une expertise pour savoir à quelle période la procédure aurait dû être ouverte et pour chiffrer l'aggravation du passif. Le commissaire aux comptes a fait appel du jugement que la cour d'appel a infirmé aux motifs que la carence du commissaire aux comptes était sans lien de causalité sur le retard apporté au dépôt de bilan et l'éventuelle aggravation du passif qui en serait résulté car les actionnaires connaissaient la situation irrémédiablement compromise de la société. Cependant, rien ne permettait d'affirmer que la collectivité des actionnaires n'aurait pris une décision plus tôt si le commissaire aux comptes avait satisfait à ses obligations. Le liquidateur judiciaire a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel aux motifs que le commissaire aux comptes est tenu d'exercer le droit d'alerte qu'il tient de l'article 230-1 de la loi du 24 juillet 1966, quand bien même les associés auraient connaissance de la situation compromise de la société car l'exercice de cette obligation légale impérative est de nature à informer et éclairer complètement la collectivité des associés par un homme de l'art indépendant et impartial sur les conséquences d'une poursuite de l'exploitation et à inciter à prendre toutes les mesures utiles, urgentes et opportunes.
Dans cet arrêt du 3 mars 2004, la Cour de cassation a donc dû se demander dans quelle mesure la responsabilité du commissaire aux comptes pouvait être engagée lorsqu'une société fait l'objet d'une procédure collective alors qu'aucune procédure d'alerte n'a été déclenchée.
La cour a rejeté le pourvoi aux motifs que la cour d'appel ayant relevé que tous les actionnaires connaissaient la situation de la société à la fin de l'année 1992 et donc considéré que l'absence de déclenchement à cette date de la procédure prévue par l'article 230-1 de la loi du 24 juillet 1966 était sans incidence sur le retard apporté au dépôt de bilan et l'éventuelle aggravation du passif en résultant, a légalement justifié sa décision.
Cet arrêt du 3 mars 2004 pose donc les circonstances par lesquelles la responsabilité du commissaire aux comptes n'est pas retenue malgré un dépôt de bilan et l'absence d'ouverture de la procédure d'alerte par ce dernier. En effet, la Cour de cassation retient d'une part que tous les actionnaires connaissaient la situation de la société à la date où la procédure d'alerte aurait due être ouverte (I), et d'autre part la Cour relève la nécessité d'une lien de causalité entre la carence du commissaire aux comptes et le dépôt de bilan de la société (II).
[...] C'est à se demander pourquoi la Cour fait preuve d'une telle clémence en leur faveur ? Comme premier élément de réponse, on peut retenir que la position des commissaires aux comptes est relativement délicate. En effet, ils peuvent voir leur responsabilité engagée en principe pour avoir déclenché la procédure d'alerte à la légère ou au contraire pour ne pas avoir engagé cette procédure. Ils ont donc une situation en porte-à-faux dans la mesure où les dirigeants de sociétés n'apprécient guère le fait que le commissaire aux comptes déclenche la procédure d'alerte. [...]
[...] Or, le fait qu'il soit actionnaire lui enlève son indépendance à l'égard de la société. Le liquidateur judiciaire de la société avait relevé que le droit d'alerte est une obligation légale et impérieuse de nature à informer la collectivité des associés de la situation par un homme d'art indépendant et impartial. Mais on peut se demander où sont donc cette indépendance et cette impartialité lorsque le commissaire aux comptes est actionnaires de la société ? En effet, il est d'autant plus au courant de la situation de la société dans la mesure où il en fait partie et ne peut être de fait totalement impartial. [...]
[...] Cependant, la question se pose de savoir si les associés n'auraient pas agis différemment si le commissaire aux comptes avait enclenché la procédure d'alerte ? En effet, voyant que le commissaire aux comptes n'agissait pas, les associés auraient pu penser que la situation n'était pas si grave, et attendaient que le commissaire aux comptes les informe réellement de la situation et des risques si rien n'était mis en place pour redresser la situation. Le fait que les associés soient au courant de la situation ne semble pas à première vu avoir de l'influence sur la nature du devoir du commissaire aux comptes dans la mesure où il agit seul en fonction des faits dont ils a connaissance, mais comme il était associé également, il avait exactement les mêmes informations que les autres actionnaires, et de ce fait, on peut penser qu'il aurait dû déclencher la procédure d'alerte et que la carence du commissaire était fautive. [...]
[...] Le but de la procédure d'alerte est donc de prévenir un risque qui pourrait compromettre la continuité de l'exploitation de l'entreprise. Or pour cela, avant le déclenchement de cette procédure, encore faut il que la société ne soit uniquement qu'en difficulté et non dans une situation irrémédiablement compromise. En effet, cette notion de situation irrémédiablement compromise se distingue de la simple cessation des paiements en ce qu'elle implique l'absence de toute possibilité raisonnable de redressement. Dès lors, lorsqu'une société est dans une telle situation, qu'il y ait alerte ou non, le résultat est le même, le dépôt de bilan. [...]
[...] C'est donc pour cela que la Cour de cassation s'appuie également sur un autre élément. En effet, elle considère qu'il n'y a pas de lien de causalité entre cette carence du commissaire aux comptes et le dépôt de bilan de la société. II/ L'absence de lien de causalité entre la carence du commissaire aux comptes et le dépôt de bilan La chambre commerciale de la Cour de cassation insiste sur le fait que, malgré la présence d'une faute, tant qu'un lien de causalité n'est pas directement établi, la responsabilité du commissaire aux comptes ne peut être engagée (A'), solution qui demeure relativement peu sévère à l'égard des commissaires aux comptes (B'). [...]
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