Depuis une dizaine d'années, l'affaire Chronopost parvient à tenir en haleine les juristes, jouant de ses nombreux rebondissements. De manière constante, la société Chronopost, spécialisée dans l'acheminement rapide de lettres et de colis, stipule dans ses contrats (qui s'analysent, précisons le, en contrats d'adhésion) une clause limitant l'indemnisation du client, en cas de retard dans l'acheminement du colis, au prix payé par ce dernier. Cette clause se révèle d'autant plus encombrante qu'elle annihile, en fin de compte, l'obligation essentielle du transporteur : assurer un service de messagerie dans un délai fixe «garanti» (comme le proclament ses documents contractuels et sa publicité), proposés d'ailleurs en contrepartie d'un surcoût demandé au client par rapport au prix d'un envoi traditionnel de courrier. Traditionnellement, les litiges nés de l'application des clauses limitatives de responsabilité s'articulent autour de la notion de faute lourde. Si ces clauses sont en principe valables, elles peuvent en effet être écartées lorsque l'inexécution de l'obligation résulte d'une faute lourde, afin de protéger les clients contre les effets particulièrement réducteurs de ces clauses. Jadis assimilée au dol dans l'exécution du contrat, la faute lourde s'attache à deux éléments: un élément subjectif lié à la conduite du responsable et un élément objectif lié aux obligations contenues dans le contrat.
L'arrêt du 22 avril 2005 rendu par la chambre mixte de la Cour de cassation lui offrait l'occasion de privilégier l'élément objectif au détriment du critère subjectif à l'instar de certaines décisions (Civ. 1ère, 18 janvier 1984 ; Civ. 1ère, 15 novembre 1988 ; Com., 9 mai 1990 ; Com., 17 juillet 2001). En l'espèce, les faits étaient les suivants : la société Dubosc et Landowski ( société Dubosc) a confié a la société Chronopost un pli destiné à la ville de Vendôme, contenant un dossier de candidature à un concours d'architectes. Le dossier étant parvenu à destination avec retard, la candidature de la société n'a pas été examinée, ce qui l'a conduite à assigner la société Chronopost en réparation de son préjudice. La société Chronopost a invoqué la clause limitative de responsabilité figurant dans un contrat-type. La Cour d'appel de Versailles, par un arrêt du 7 février 2003, a ainsi condamné la société Chronopost à verser à sa cliente la somme de 22,11 euros. La société Dubosc a formé un pourvoi en cassation, considérant qu'en refusant d'écarter la clause limitative de responsabilité issue du contrat type messagerie, la Cour d'appel a violé les articles 1131, 1134, 1147 et 1315 du Code civil, ainsi que les textes propres au droit spécial du transport terrestre.
La question soumise ici à la Chambre mixte consistait à déterminer si le manquement du débiteur à son obligation essentielle suffit ou non à caractériser une faute lourde, permettant ainsi d'écarter l'application de la clause limitative de responsabilité.
La Cour de cassation a répondu par la négative. Elle a déclaré, dans son arrêt en date du 22 avril 2005, qu' «en l'absence d'autres éléments, une telle faute ne pouvait résulter du seul retard de livraison» et «n'était pas établie du seul fait pour le transporteur de ne pas pouvoir fournir d'éclaircissements sur la cause du retard». En d'autres termes, rappelant que la faute lourde est caractérisée par une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur de l'obligation à l'accomplissement de sa mission contractuelle, la Chambre mixte a jugé qu'en l'absence d'autres éléments, une telle faute ne pouvait résulter du seul retard de livraison et n'était pas établie du seul fait pour le transporteur de ne pas pouvoir fournir d'éclaircissements sur la cause du retard.
Cette affaire met une fois de plus en lumière le caractère manifestement inadapté des stipulations limitant l'indemnisation pour retard au seul prix du transport dans les contrats de messagerie. Avouons que rarement une clause aura, à elle seule, fait couler autant d'encre.
La Chambre mixte, se situant dans le sillage des arrêts Chronopost antérieurs, rejette donc le pourvoi et apporte une réponse nuancée : elle confirme la possibilité d'écarter la clause limitative de responsabilité en cas de faute lourde du transporteur (1) mais affirme l'impossibilité de déduire la faute lourde du seul retard de livraison (2).
[...] Certes, la limitation de responsabilité litigieuse est bien de celles qui créent un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat mais l'article L.132-1 du Code de la consommation exige que l'on soit en présence d'un contrat conclu entre un professionnel et un non professionnel ou consommateur, sachant que les contrats conclus dans un rapport direct avec une activité professionnelle sont exclus du champ de la protection consumériste. Or, en l'espèce, la société Dubosc avait bien conclu avec la société Chronopost un contrat pour les besoins de son activité professionnelle. [...]
[...] Or, toute la question était de savoir de quelle manière il était possible d'écarter ce plafond légal d'indemnisation pour permettre à la société Dubosc d'obtenir une indemnisation plus conforme à son préjudice réel. La Chambre mixte, réunie, conformément à l'article L. 131-2 du Nouveau Code de procédure civile, considère que cette limitation d'origine légale ne peut être écartée qu'en cas de faute lourde. La limitation légale écartée seulement en cas de faute lourde La société Dubosc a subi un préjudice évident du fait du retard de livraison du pli pour le concours d'architecture. [...]
[...] C'est d'autant plus dommage que la conception objective de la faute lourde a un rôle a jouer dans le droit positif, en complément du reste de la conception objective, toutes les fois ou il apparaît impossible de prouver positivement un comportement défaillant du débiteur et ou la limitation de responsabilité a un montant dérisoire paraît en contradiction avec l'obligation essentielle initialement assumée. [...]
[...] N'était-ce pas du reste l'intérêt de la solution Chronopost 1 que de permettre de faire l'économie de cette étude des comportements en concentrant l'analyse sur la cause des obligations ? Ce faisant, on tend d'ores et déjà a souligner les limites d'une conception uniquement subjective de la faute lourde. Les limites d'une conception subjective de la faute lourde La position adoptée par la Chambre mixte, qui privilégie une conception purement subjective de la faute lourde, conduit finalement à neutraliser la solution du premier arrêt Chronopost (Com octobre 1996). [...]
[...] En effet, c'est la 3ème fois que la Cour de cassation est saisie du problème de la responsabilité de la société Chronopost du fait du retard dans l'acheminement de plis contenant des dossiers de candidature a des appels d'offre et des concours. Dans le premier épisode Chronopost (Com octobre 1996), la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait entrepris de réputer non écrite, sur le fondement de la cause, la clause limitative de responsabilité d'origine contractuelle limitant l'indemnisation en cas de retard dans la livraison du pli au prix facturé a l'usager. Cependant, une fois écartée, la limitation de responsabilité renaît sous la couleur d'une limitation égale de responsabilité. [...]
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