La responsabilité civile, donc personnelle, des dirigeants sociaux est une réalité quotidienne dans les sociétés, qui est depuis plus de vingt ans une des questions sensibles du droit des sociétés.
Plus exactement, c'est la mise en cause de celle-ci par les tiers qui a été et qui reste encore la plus problématique, comme l'illustre ici l'arrêt de la chambre commerciale de la cour de cassation du 20 mai 2003, qui admet pour la première fois depuis son apparition en jurisprudence l'existence d'une faute séparable des fonctions du dirigeant génératrice d'une responsabilité civile personnelle a l'égard des tiers, en définissant la notion de faute séparable des fonctions qui n'avait jusqu'alors pas de définition précise.
En l'espèce, Mme Seusse, gérante de la SARL SBTR, avait cédé à la société SATI, en règlement de livraisons de matériaux, deux créances précédemment cédées à la Banque de la Réunion. N'ayant pas pu recouvrer le montant de ces créances auprès des débiteurs cédés, la société SATI avait agi personnellement contre Mme Seusse afin que celle-ci soit condamnée à réparer le préjudice résultant pour elle du défaut de paiement de ces créances litigieuses. La Cour d'appel de Saint Denis de la Réunion, dans un arrêt du 4 mai 1999, condamna Mme Seusse à réparer le préjudice résultant pour la société SATI du non-règlement de ces créances litigieuses cédées, en retenant que cette dernière avait commis une faute séparable de ses fonctions, propre à engager sa responsabilité personnelle.
[...] Son comportement était donc contraire à la gestion honnête du bon père de famille, qui ne doit pas faire preuve de comportements aventureux négligents ou violer les dispositions légales, et ne pouvait plus être rattache de ce fait à la gestion normale de la société, car elle savait que son acte était irrégulier puisqu'elle avait accompli des manœuvres pour tromper la SATI, commettant ainsi une faute d'une particulière gravite et intentionnelle. Un tel comportement est donc incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales. De plus, la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 13 novembre 1996 avait déjà considérée comme constitutive d'une faute personnelle la double mobilisation d'une créance. Il y a ici une appréciation in abstracto de ce critère par rapport à la faute intentionnelle et d'une particulière gravite qui s'apprécie in concreto. [...]
[...] La Haute juridiction retient tout d'abord, en réponse au moyen du pourvoi soutenu par Madame Seusse, que la cour d'appel a violé l'ancien article 52 de la loi du 24/07/1966. Néanmoins, elle rejette toutefois le pourvoi formé par Madame Seusse, au motif que la responsabilité personnelle d'un dirigeant à l'égard des tiers ne peut être retenue que s'il a commis une faute séparable de ses fonctions; qu'il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales puisque la cour d'appel avait constaté que Madame Seusse avait volontairement trompé la société SATI sur la solvabilité de la société SBTR qu'elle dirigeait, ce qui lui a permis de bénéficier de livraisons que sans de telles manœuvres elle n'aurait pas pu obtenir et retient donc de ce fait que la cour d'appel avait exactement déduit que Madame Seusse avait commis une faute séparable de ses fonctions engageant sa responsabilité personnelle. [...]
[...] Toutefois, cette atténuation au système de protection du dirigeant fautif est à nuancer, car il est variable. En effet, il apparaît une incertitude latente quant à la portée de la décision qui résulte d'une autre lecture de la solution Une atténuation à l'irresponsabilité personnelle du dirigeant social fautif et donc de son impunité de fait Depuis un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 8 mars 1982, la jurisprudence, pour atténuer la responsabilité personnelle des dirigeants sociaux a l'égard des tiers et ses effets, a admis leur responsabilité civile exceptionnelle, qu'elle subordonne à une faute personnelle des dirigeants qui soit séparable de leurs fonctions de dirigeant social. [...]
[...] Cet arrêt aura pour conséquences de réduire considérablement le champ d'application de la théorie de la faute non séparable des fonctions du dirigeant social. Toutefois, la portée de l'arrêt est à nuancer puisque variable, car il existe une autre interprétation de la solution de l'arrêt qui réside dans une autre lecture de la décision Une atténuation au système de protection du dirigeant fautif à nuancer : une incertitude quant à la portée de la décision résultant d'une autre lecture de la solution : Vers un élargissement considérable de la responsabilité civile des dirigeants? [...]
[...] Mais la particulière gravite de la faute en l'espèce s'explique surtout du fait que cette notion est directement issue du droit pénal, car elle est liée a la violation d'une disposition d'ordre public, puisque l'article 313- 1 du Code pénal incrimine et sanctionne au titre du délit d'escroquerie la mobilisation d'une même créance auprès d'organismes financiers différents. Peu importe donc que le dirigeant ait agi dans l'intérêt de la société, car la particulière gravite de la faute fait échec au bouclier de la personne morale, sous l'égide de laquelle le dirigeant agit, qui faisait écran entre le tiers et le lui. La particulière gravite de la faute exclut donc aussi la faute légère (négligence ou imprudence). [...]
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