L'émission de réserves lors de la livraison est-elle une condition impérative pour se prévaloir de la non-conformité de bien livré ou n'est-elle nécessaire que pour les défauts apparents ? A la lumière de deux arrêts de la chambre commerciale du 1er mars 2005 et de la 1re chambre civile du 12 juillet force est de constater que ces deux chambres de la cour de cassation ne partagent pas tout à fait la même conception.
Dans le cas qui donne lieu à l'arrêt de la chambre commerciale du 1er mars 2005, une société a commandé un matériel qui lui a été livré. Ultérieurement le vendeur a assigné l'acheteur en paiement du solde du prix de la vente et celui-ci a reconventionnellement prétendu à la résolution du contrat aux torts exclusifs du vendeur.
La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 27 juin 2003, a rejeté la demande principale et accueilli la demande reconventionnelle pour défaut de conformité de la chose vendue. En effet l'arrêt retient que la livraison a eu lieu après une mise en demeure d'effectuer des essais demeurée infructueuse et l'acceptation par l'acheteur d'une machine « même marchant qu'au 1/5 de ce qu'elle devrait » ainsi que le fait que lors de la livraison, il est établi que le vendeur ne pouvait pas garantir le rendement contractuellement fixé du matériel et que l'acheteur a pris ce dernier en l'état sous la pression d'impératifs commerciaux. Il y a pourvoi en cassation.
[...] En effet l'obligation de conformité découle de l'obligation de délivrance. Celle-ci est définie par l'article 1604 du Code civil, au visa duquel l'arrêt de la chambre commerciale est rendu, comme le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur La doctrine lui préfère l'idée de mise à disposition par le vendeur à l'acheteur de la chose vendue. A quel moment cette obligation de délivrance prend-elle fin ? S'agissant d'un meuble corporel la délivrance s'opère soit par la remise matérielle, soit par la fourniture des moyens d'accès à l'endroit où il se trouve, soit par le seul consentement des parties si l'acheteur en avait déjà acquis la possession. [...]
[...] Ce n'est pas l'absence de réserves qui bloque le droit de se prévaloir des défauts de conformité mais l'émission de réserve qui fait perdurer l'obligation de conformité. Cette idée implique une formalité générale car il n'y a alors pas lieu de distinguer entre défauts apparents et non apparents : seules les réserves pouvant faire survivre l'obligation de conformité on ne peut pas permettre d'invoquer cette obligation en l'absence de réserves quand bien même l'acheteur n'aurait pas de raison d'en émettre puisque le défaut était invisible. [...]
[...] On peut trouver une justification à l'impossibilité de se prévaloir de la non-conformité apparente en l'absence de réserves émises lors de la livraison dans le principe du consensualisme. Ce principe peut donc expliquer la solution de la 1re chambre civile, qui est une reprise de la jurisprudence antérieure. En effet l'absence de réserve peut constituer une renonciation tacite au droit de se prévaloir des défauts de conformité de la chose livrée. Une sorte de deuxième contrat, qui contrairement au premier n'est que tacite, est conclu entre l'acheteur et le vendeur lors de la livraison : l'acheteur qui n'émet pas de réserve accepte la chose telle qu'elle est, quand bien même elle serait différente de celle qui était convenue dans le contrat initial. [...]
[...] En effet l'article 1642 qui régit la garantie des vices cachés énonce que le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même De cet article découle le fait que le vendeur n'est pas tenu des vices apparents parce qu'il appartient à l'acheteur soit de les accepter soit de refuser de prendre livraison de la chose. On se trouve donc face à un régime très similaire à celui qu'expose l'arrêt de la 1re chambre civile. A contrario l'arrêt de la chambre commerciale débouche sur l'application de règles spécifiques à l'obligation de conformité qui ne s'inspirent plus de celles qui régissent la garantie des vices cachés. Peut- on justifier la spécificité de ces règles et notamment la moindre protection qu'elles accordent à l'acheteur ? [...]
[...] L'acheteur peut-il se prévaloir des défauts de conformité lorsqu'il n'a pas émis de réserve lors de la livraison de la chose ? Les deux arrêts sont à l'origine d'une divergence jurisprudentielle nouvelle, le fondement juridique de la solution traditionnelle reprise par la 1re chambre civile ne s'appliquant pas à la position adoptée par la chambre commerciale Cependant cet arrêt prend en compte une spécificité de l'obligation de conformité qui disparaît dans la solution de la 1re chambre civile (II). Une divergence jurisprudentielle nouvelle apparemment injustifiée Les arrêts de la chambre commerciale du 1er mars 2005 et de la 1re chambre civile du 12 juillet 2005 semblent consacrer une divergence de jurisprudence nouvelle entre les deux chambres sur la question de la possibilité pour l'acheteur d'invoquer les défauts de conformité de la chose lorsqu'il n'a pas émis de réserves lors de la livraison Si l'on se réfère à la lettre des arrêts de la Cour l'idée d'un consentement tacite de l'acheteur émis lors de la livraison qui justifie parfaitement l'arrêt de la 1re chambre civile et la jurisprudence antérieure qu'il reprend n'explique pas l'arrêt de la chambre commerciale et la solution nouvelle qu'il pose Deux arrêts posant un régime différent pour l'invocation par l'acheteur des défauts de conformité Les deux arrêts se situent en aval d'une évolution jurisprudentielle centrée sur la caractérisation de la non-conformité et sa distinction avec les vices du consentement. [...]
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