Le professeur Picod énonce à propos du principe de proportionnalité que celui ci « protège le constituant contre la voracité sécuritaire du créancier », or si il est vrai que ce principe empêche le caractère discrétionnaire de la prise de garantie, sa portée reste soumise à d'importantes fluctuations jurisprudentielles dont l'arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de Cassation le 8 octobre 2002 est la dernière illustration marquante.
En l'espèce, deux consorts, l'un président du conseil d'administration et l'autre directeur général de la même société se sont portés cautions solidaires des engagements de cette dernière pour une somme de 23 500 00 francs, représentant 10 et 20% du prêt accordé. A la suite de la liquidation judiciaire de leur société, les deux consorts sont appelés en garantie par l'établissement de crédit. Ils invoquent dans leur pourvoi la responsabilité de l'établissement de crédit pour avoir retenu des engagements de caution disproportionnés à leurs ressources. Ce moyen est rejeté par les juges du fond, lesquels prennent en compte dans leur appréciation les profits escomptés.
Se pose alors aux juges de la chambre commerciale la question de savoir si les cautions peuvent se prévaloir en toutes circonstances du principe de proportionnalité pour échapper en tout ou partie à leur obligation de garantie.
La Cour répond à cette question par la négative en énonçant que « MM David et Marc X, respectivement président du conseil d'administration et directeur général de la société (…), qui n'ont jamais prétendu ni démontré que la banque aurait eu sur leurs revenus, leurs patrimoine et leurs facultés de remboursement raisonnablement prévisible en l'état du succès escompté de l'opération immobilière entreprise par la société, des informations qu'eux mêmes auraient ignorés , ne sont pas fondé à rechercher la responsabilité de cette banque ».
Il ressort de cet attendu que les juges du droit ont entendu abandonner de manière circonstanciel le principe de proportionnalité (I) pour le remplacer par une obligation d'information à la charge de l'établissement de crédit (II).
[...] Il se peut donc que la cour de cassation, en refusant de contrôler la proportionnalité, ait souhaité remédier à ce problème. Il convient surtout de noter que la cour rappelle dans son attendu que les consorts sont tous deux dirigeants de la société, cette mention de leurs titres sociaux, superfétatoire de prime abord, laisse entendre que la solution a été retenu au regard de l'implication des demandeurs dans la vie économique de la société débitrice principale. En effet les caution dirigeants sont, pour reprendre l'expression du professeur Koering, les promoteurs de l'opération ils en connaissent par conséquent les chances de réussite. [...]
[...] Il semble ici que la cour de cassation ait pris en compte cette adéquation nécessaire qui existe entre esprit d'entreprise et prise de risque et en tire les conséquences quand au cautionnement disproportionné des dirigeants. Reste à savoir si le cautionnement des cautions non dirigeants sera traité de la même manière. Survivance implicite de la proportionnalité pour la caution non dirigeant La cour de cassation, lorsqu'elle insiste sur les qualités de président du conseil d'administration et directeur général de la société des demandeurs, entend cantonner sa décision aux seules cautions dirigeants. [...]
[...] Il découle de cette faible invocabilité potentielle de l'obligation d'information symétrique une plus grande sécurité juridique du cautionnement de la caution dirigeant. En effet, pour que celle ci voit la garantie qu'elle a consenti réduite par le jeu des dommages et intérêts, il lui faut démontrer non seulement que la banque l'a privé d'une information mais encore qu'elle ignorait cette information (c'est à dire qu'elle n'était pas en mesure de la connaître) . Par conséquent le cautionnement s'en trouve renforcé. [...]
[...] En soumettant la remise en cause du cautionnement à une obligation dont l'inexécution est difficilement démontrable, la cour de cassation redonne toute sa portée au cautionnement du dirigeant en le faisant redevenir une véritable sûreté, c'est à dire qu'il permet à nouveau au créancier de se prémunir contre la défaillance du débiteur. Il appartient dorénavant au dirigeant de prendre ses responsabilités lorsqu'il se porte caution pour sa société. Il convient cependant de noter que la cour de cassation s'emploi ici à circonscrire la notion de proportionnalité, l'intention est louable mais elle dénote un vide législatif. Il serait plus souhaitable de voir le législateur distinguer entre caution dirigeant et caution non dirigeant pour appliquer le principe de proportionnalité qui pourrait par ailleurs se voir fixer un seuil. [...]
[...] Cette lecture de la solution étudiée trouve plusieurs justifications. Dans un premier temps, la cour de cassation a sûrement pris en compte le fait que les cautions non dirigeants, contrairement aux parties du présent arrêt ne pouvaient espérer tirer que peu ou aucun bénéfice des opérations garanties. Par conséquent la comparaison du montant du cautionnement à celui des bénéfices escomptés, tel que pratiquée par les juges du fond dans le présent cas, se retrouve privée de sens. Dans un second temps, il convient de noter que la caution non dirigeant n'est pas à l'origine de l'opération garantie, par conséquent, elle en connaît mal les tenants et les aboutissants, en particulier la viabilité économique. [...]
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