Le législateur moderne a rarement de la chance avec les dispositions transitoires et encore moins quand celles-ci concernent le droit des personnes et de la famille. Il lui suffirait pourtant de garder à l'esprit certaines règles générales que le droit européen lui impose désormais, certaines expériences historiques bonnes ou mauvaises, et certains ouvrages incontournables. Sur les limites qu'imposent les principes généraux, si le Conseil constitutionnel n'a jamais donné valeur constitutionnelle au principe de non-rétroactivité contenu dans l'article 2 du code civil, sauf en matière répressive on aurait tort de croire que le législateur peut encore tout faire en la matière. Même si la jurisprudence européenne apparaît encore comme naissante sur ce sujet, on sait que l'intervention de textes rétroactifs dans des procès en cours n'est pas vue d'un bon oeil par la Cour EDH depuis l'arrêt Zielinski et Pradal Gonzales c/ France du 28 octobre 1999. Les leçons de l'histoire pourraient aussi nourrir sa méditation. Pour ne remonter qu'à la loi du 3 janvier 1972, et malgré le soin de ses rédacteurs, il a fallu une nouvelle intervention par une loi du 15 novembre 1976 pour ouvrir l'action en recherche de paternité à des enfants adultérins dont le seul défaut était d'être nés trop tôt et d'avoir été trop âgés au jour du décès de leur auteur, ce qui avait créé une discrimination successorale inquiétante avec leurs jeunes frères ou soeurs à la naissance plus récente ! La rétroactivité peut aussi avoir parfois pour but d'unifier dans le temps des situations pour lesquelles le maintien d'une différence semblerait gravement inéquitable. La loi du 25 juin 1982 permettant la preuve de la filiation naturelle par la seule possession d'état ne fut pas beaucoup plus heureuse puisque son article 2 devait refuser le droit de s'en prévaloir aux enfants naturels « dans les successions déjà liquidées », critère repris dans la présente ordonnance, provoquant une jurisprudence indécise et révélatrice de ce qu'on ne savait pas vraiment à quel moment on pouvait considérer une succession comme liquidée.
On comprend donc pourquoi le législateur de la loi du 3 décembre 2001 sur les droits du conjoint survivant et des enfants adultérins (art. 25) a préféré faire référence aux successions non encore partagées mais, sans pour autant apporter beaucoup plus de sécurité. Aussi bien ces dispositions transitoires, d'ailleurs fort discutables dans leur principe, n'ont pas évité une nouvelle condamnation de la France. Encore celles-ci apparaissent-elles comme fort respectables si on les compare aux détestables dispositions retenues dans la loi du 30 juin 2000 sur les prestations compensatoires. Emporté par un zèle douteux en faveur des débiteurs, le législateur a osé décider que la loi nouvelle s'appliquait aux procédures en cours, y compris en cas de pourvoi en cassation, ce qui a créé un désordre surréaliste, obligeant la Cour de cassation à reprocher aux juges du fond de n'avoir pas appliqué une loi... qui n'était pas promulguée à la date où ils rendaient leur arrêt ! On ne sait ce qu'aurait pu penser la Cour EDH si pareille disposition lui avait été déférée. Aussi bien la loi du 3 décembre 2001 a dû servir partiellement de session de rattrapage de la loi de 2000, notamment sur la possibilité légale de révision des prestations conventionnelles anciennes pour lesquelles on avait abouti au contraire de ce qui justifiait, pour une large partie, la loi nouvelle ! Sur ce dernier point le législateur de la loi du 26 mai 2004 sur le divorce a été plus raisonnable excluant, sauf exceptions dûment établies, l'application de la loi nouvelle aux procédures en cours.
On doit donc d'abord se féliciter, s'agissant de l'ordonnance du 4 juillet 2005, que les errements antérieurs aient été exclus dans l'article 20 qui comprend la matière. Cela ne signifie pas, pour autant, que tout soit réglé, ce qui est d'ailleurs pratiquement inconcevable en droit transitoire. Deux complications peuvent se produire, l'une classique, l'autre moderne. La première repose sur une expérience ancienne que plusieurs législateurs ont éprouvée. La filiation est, par essence, une situation qui se constitue instantanément mais aussi parfois progressivement et qui dure et c'est là que le bât blesse en général en droit transitoire.
La seconde a été aperçue à propos des dispositions transitoires de la loi du 3 décembre 2001. La France ayant tardé à mettre son droit en conformité avec les normes de la Convention EDH, se superpose alors à la question de la conformité du nouveau droit avec la Convention une autre question sur la conformité des dispositions transitoires avec la jurisprudence de la Cour EDH laquelle a, en général depuis longtemps, précisé des principes que la France ne s'est guère empressée de traduire dans sa législation. Or, on le sait bien, la question de la rétroactivité de la jurisprudence, en droit interne ou international, est loin d'être simple. Sauf en ce qui concerne la preuve de la maternité naturelle par les actes de naissance, la réforme de 2005, contrairement à la loi de 2001 sur les successions, ne répondait directement à aucun impératif européen identifié.
A partir de la date fixée par l'ordonnance, soit le 1er juillet 2006, ce qui suppose, ce qui a été fait, que le projet de ratification ait été déposé dans le délai imparti, on peut envisager plusieurs hypothèses.
Afin d'y voir à peu près clair, il apparaît plus simple de reprendre les distinctions proposées par Roubier : même si elles ne sont pas à l'abri de la critique moderne, elles ont le mérite de permettre un classement minimum. Le principe est que la loi s'applique immédiatement aux situations déjà constituées, en cours de constitution ou en cours d'effet, l'exception est qu'elle ne s'y applique pas toujours, mais aussi qu'elle peut être exceptionnellement rétroactive.
[...] Mais leur régime juridique est désormais harmonisé et le lien de filiation se trouve sécurisé. Bibliographie A. BÉNABENT, Droit civil, La famille 12e éd Litec. P. COURBE, Droit de la famille 3e éd Armand Colin. LABARDE, Réflexions sur la contestation de paternité légitime : analyse et prospective P. [...]
[...] Quid de l'enfant ou du parent qui invoquerait à compter du 1er juillet 2006 une possession d'état de cinq ans accomplis pour bloquer toute action en contestation ? Il nous semble que l'application immédiate conduirait à une rétroactivité discutable. Pour prendre l'exemple de l'auteur d'une reconnaissance de complaisance, il paraît difficile, alors qu'il n'avait pas d'intérêt à agir avant dix ans, de lui opposer la nouvelle prescription extinctive. Il en sera de même de l'action intentée par l'enfant ou sa mère qui était jusqu'ici soumise à la prescription trentenaire de droit commun et ne se heurtait pas à l'effet confortatif de la possession d'état (c. [...]
[...] La seconde a été aperçue à propos des dispositions transitoires de la loi du 3 décembre 2001. La France ayant tardé à mettre son droit en conformité avec les normes de la Convention EDH, se superpose alors à la question de la conformité du nouveau droit avec la Convention une autre question sur la conformité des dispositions transitoires avec la jurisprudence de la Cour EDH laquelle en général depuis longtemps, précisé des principes que la France ne s'est guère empressée de traduire dans sa législation. [...]
[...] Encore celles-ci apparaissent- elles comme fort respectables si on les compare aux détestables dispositions retenues dans la loi du 30 juin 2000 sur les prestations compensatoires. Emporté par un zèle douteux en faveur des débiteurs, le législateur a osé décider que la loi nouvelle s'appliquait aux procédures en cours, y compris en cas de pourvoi en cassation, ce qui a créé un désordre surréaliste, obligeant la Cour de cassation à reprocher aux juges du fond de n'avoir pas appliqué une loi . [...]
[...] L'exception de la survie de la loi ancienne Elle se retrouve sur les instances en cours et pour certaines conséquences. L'article 20 III de l'ordonnance introduit une exception essentielle que le législateur de 2004 sur le divorce avait déjà instaurée : lorsque l'instance a été introduite avant le 1er juillet 2006, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne et ce, même si l'on se trouve déjà en appel ou en cassation. Le système qui repose sur un principe fondamental dont on se demande s'il ne devrait pas être constitutionnalisé consiste donc à geler la loi applicable au jour de l'introduction de l'instance et à écarter la loi nouvelle qui interviendrait en cours d'instance. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture