L'accès à la vérité biologique a transformé en profondeur le droit de la filiation et les progrès de la science en la matière permettent désormais d'établir la preuve certaine d'une filiation par l'expertise biologique. Mais les juges ont levé des barrières pour l'atteindre, celles de la réalité de la vie, du temps qui passe, des limites de la science et de la paix des familles.
L'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 25 avril 2007 illustre bien cette volonté des magistrats de ne pas faire droit à toutes les demandes d'expertise alors même que la haute juridiction a élevé au rang de principe le droit à l'expertise en matière de filiation.
Dans les faits, le petit Julien est un enfant « naturel » né en janvier 1993. Il avait été reconnu par sa mère, Mme X… huit jours après sa naissance et par Franck Y… deux jours seulement après sa naissance. Ce dernier a mené une vie de famille avec cet enfant, créé avec lui des liens d'affection très forts, l'élevant comme son fils et allant même jusqu'à appeler sa SCI « SCI Julien ». Après le décès de Franck Y… en 2002 dans un accident de la circulation, alors que l'enfant venait de fêter ses neuf ans, son père Henri Y… a intenté, contre Julien représenté par un administrateur ad hoc et contre sa mère, une action en contestation de la reconnaissance de l'enfant par son fils devant le Tribunal de grande instance, seul compétent pour statuer sur les litiges de filiation en première instance, sur le fondement de l'article 339 du Code civil. Ce texte disposait alors en son alinéa 1er que « la reconnaissance peut être contestée par toutes les personnes qui y ont un intérêt, même par son auteur ». Ainsi qu'il en revendiquait le droit, Henri Y… a demandé une expertise biologique, en l'occurrence un examen comparé des sangs de son fils et du jeune Julien ou l'exhumation du corps de son fils afin de procéder à des prélèvements ADN, tendant à établir pour lui la preuve certaine de la non paternité de son fils.
La Cour de cassation ne relate pas dans son arrêt le jugement de la juridiction de première instance. Néanmoins, un appel a été interjeté et la Cour d'appel de Nîmes a débouté Henri Y… de sa demande d'expertise dans un arrêt du 24 janvier 2006. En effet, les juges du fond n'ont pas autorisé l'expertise biologique demandée par Henri X… car un « motif légitime » s'y opposait, alors même que l'expertise est de droit. Ils ont constaté qu'à aucun moment Franck Y… n'avait remis en question sa paternité, qu'au contraire les faits montrent son attachement profond à l'enfant. De plus, la Cour a constaté l'impossibilité de recourir à un examen comparé des sangs dans la mesure où Henri Y… n'avait pas rapporté la preuve qu'un échantillon de sang de son fils avait été conservé et dans la mesure où l'administrateur ad hoc de Julien avait refusé l'exhumation du corps de Franck Y…
La Cour d'appel a de même retenu la mauvaise foi d'Henri Y… et ainsi le caractère abusif de son action en contestation. Selon elle, il ne pouvait ignorer l'attachement profond de son fils pour Julien ni sa volonté d'être père. En conséquence, elle a pu le condamner à verser une somme d'argent à titre de dommages-intérêts à l'administrateur légal de Julien pour le dommage causé à l'enfant par cette action abusive.
Il faut préciser à ce stade de l'instance que c'est l'application du droit antérieur de la filiation qui a été faite par la juridiction d'appel puis, plus tard, par la Cour de cassation. En effet, l'ordonnance de 2005 applique le principe de l'autorité de la chose jugée : dès qu'un jugement de première instance a été rendu, il n'est plus possible de statuer selon le droit nouveau, il y a survivance du droit ancien. Et même, dès lors qu'un procès est ouvert, le droit ancien s'appliquera au litige pour toute la procédure à venir. Si les juridictions d'appel et de cassation ont statué selon le droit antérieur, c'est donc que le procès en première instance a été ouvert avant le 1er juillet 2006 soit avant l'entrée en vigueur du droit nouveau de la filiation.
Henri Y… a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt d'appel. Il reprochait en effet aux juges du fond de n'avoir pas fait droit à sa demande d'expertise biologique, dans la mesure où la possession d'état de l'enfant Julien n'avait pas encore été usucapée et que l'intérêt de l'enfant ou sa carence de preuves ne suffisaient pas à constituer pour les juges un motif légitime de ne pas y procéder. Il reprochait également à la Cour d'appel d'avoir inversé la charge de la preuve de l'indisponibilité d'échantillon sanguin de Franck Y…, quand, selon lui, cette charge incombait au défendeur dans la mesure où l'expertise est de droit en matière de filiation. Les juges du fond n'évoquaient, selon lui, aucune « impossibilité matérielle » à l'expertise et par conséquent aucun « motif légitime » de rejet de sa demande.
Henri Y… dans ses moyens critique également sa condamnation à des dommages et intérêts pour le préjudice moral causé à Julien, retenant ainsi l'abus dans son droit de contester une reconnaissance de paternité.
La Cour de cassation a confirmé dans toutes ses dispositions la décision des juges d'appel et rejeté les deux moyens d'Henri Y… L'enjeu était pour elle de déterminer s'il y avait réellement des « motifs légitimes » capables de contrer le droit à l'expertise revendiqué par le demandeur.
S'il est vrai que l'expertise est de droit en matière de filiation, le juge peut refuser de l'ordonner s'il existe des « motifs légitimes » de ne pas le faire. Or, ces motifs dépendent des circonstances de l'arrêt, des intérêts de l'enfant, des preuves rapportées, et le juge bénéficie d'une totale liberté d'appréciation en la matière. Car l'expertise biologique, reine des preuves, est « aux antipodes de la possession d'état » qui est faite d'apparences et de vérité affective. Elle peut risquer de bouleverser un équilibre familial déjà fragilisé par une action en justice et de porter atteinte à l'équilibre social si cher au droit de la filiation.
[...] Droit de la filiation Commentaire de l'arrêt rendu le 25 avril 2007 par la première chambre civile de la Cour de cassation L'accès à la vérité biologique a transformé en profondeur le droit de la filiation et les progrès de la science en la matière permettent désormais d'établir la preuve certaine d'une filiation par l'expertise biologique. Mais les juges ont levé des barrières pour l'atteindre, celles de la réalité de la vie, du temps qui passe, des limites de la science et de la paix des familles. [...]
[...] C'est la filiation telle qu'elle est perçue par l'enfant qui doit être prise en compte par les juges. Et c'est l'intérêt de l'enfant qui est le critère déterminant. Dans le cas étudié, si l'action en contestation avait aboutie, le jeune Julien qui souffrait déjà de la perte de l'homme qu'il considérait comme son père, considération jamais remise en cause jusqu'à son décès, se serait en plus retrouvé sans père inscrit à son état civil. Toute son enfance allait être remise en cause, son nom, ses souvenirs ou encore son intégration à une famille. [...]
[...] Et cette expression de motif légitime dépend du bon vouloir des juges qui feront la balance entre vraisemblance, vérité affective remise en cause par l'action en justice, et exactitude, vérité biologique. B'/ Une politique du juste milieu et un pouvoir discrétionnaire des juges La décision devenue jurisprudence de l'arrêt du 28 mars 2000 avait fait des mécontents. En effet, certains auteurs ont pu soulever les effets néfastes d'un droit à l'expertise biologique sans preuve adminiculaire. La décision commentée devrait les rassurer dans la mesure où c'est toujours la stabilité des familles et la paix sociale que les magistrats protègent. De la stabilité des filiations dépend étroitement l'ordre social. [...]
[...] L'exhumation n'était donc pas possible. L'article 16-11 du Code civil énonce en effet, dans sa rédaction antérieure à la loi du 6 août 2004 sur la bioéthique, que l'identification d'une personne ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant [ ] à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation [ Le consentement de l'intéressé doit être préalablement et expressément recueilli Ce second motif légitime rappelle de près l'affaire dite Yves Montand de 1997. [...]
[...] C'est en tout cas ce qu'on peut déduire d'un arrêt du 3 novembre 2004 rendu par la Cour de cassation. Dans les faits, la reconnaissance d'un père déclaré comme tel avait été remise en cause neuf ans après la naissance de l'enfant reconnu, suite au décès du père déclaré. Ces faits ressemblent d'ailleurs étrangement à ceux de l'arrêt commenté Les juges du fond avaient refusé de procéder à une expertise biologique considérée comme inutile dans la mesure où un motif légitime s'y opposait : ce motif était le comportement du père qui dès la naissance de l'enfant l'avait reconnu, élevé et entretenu, situation qui était par ailleurs connue des voisins. [...]
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