Deux arrêts émanant de la Juridiction judiciaire suprême permettent de cerner quelque peu la notion de protection du logement conjugal telle qu'elle est définie par l'article 215 alinéa 3 du Code civil. Il s'agit de la décision de la première chambre civile du 20 janvier 2004 et de celle de la deuxième chambre civile du 10 mars de la même année.
Dans la première espèce, par acte notarié du 22 janvier 1992, Madame Fra a prêté à Monsieur Combe une somme d'argent dont le remboursement était garanti par une hypothèque inscrite sur un immeuble appartenant en propre et en nue-propriété à Monsieur Combe, sous l'usufruit de sa mère madame Pépin, qui lui en avait fait donation. Dans le même temps, madame Pépin a consenti à l'hypothèque et renoncé à l'interdiction d'aliéner et d'hypothéquer contenue dans l'acte de donation et à se prévaloir de la résolution de cette libéralité.
Dans la seconde espèce, un mari, au cours d'une procédure de divorce, avait résilié un contrat d'assurance multirisques concernant l'immeuble d'habitation attribué en jouissance à son épouse en vue de le remplacer par un autre contrat souscrit en sa qualité de propriétaire non occupant. Un incendie étant par la suite intervenu, l'épouse avait réclamé à l'assureur une indemnité en lui reprochant d'avoir accepté la résiliation du contrat par son mari alors que ce dernier, n'ayant plus la jouissance du logement, ne pouvait pas agir de la sorte.
Deux pourvois en cassation sont alors formés en contestation des arguments des juges du second degré et posant la question du domaine de l'article 215 alinéa 3.
[...] Il pourrait donc y avoir ici une ruse de l'époux pour mettre un terme au contrat de bail, car il lui suffirait de résilier seul le contrat d'assurance. En revanche, lorsque l'époux est seul propriétaire de l'immeuble affecté au même usage, on ne saurait prétendre que l'assurance du bien soit pour lui un droit susceptible d'assurer le logement de la famille. Il s'agit alors d'un acte de gestion ordinaire visant à couvrir un risque. En outre, l'assurance ne remédie pas à l'éviction de l'occupant en cas d'incendie, mais garantit simplement au propriétaire une indemnisation. [...]
[...] Mais il a pris le risque de la priver à terme de logement. S'il dispose de la nue-propriété, son droit d'usage ne dépend plus que de la survie de l'usufruitière et au décès de cette dernière l'usufruit sera éteint et il ne subsistera plus de droit de se maintenir dans un immeuble appartenant à autrui (la solution aurait d'ailleurs sans doute été différente si le droit au maintien dans les lieux avait été assuré par la constitution d'un droit réel ne dépendant pas de la vie de l'usufruitier (réserve d'usufruit au profit du conjoint survivant, TGI Paris, 16/12/70). [...]
[...] Un incendie étant par la suite intervenu, l'épouse avait réclamé à l'assureur une indemnité en lui reprochant d'avoir accepté la résiliation du contrat par son mari alors que ce dernier, n'ayant plus la jouissance du logement, ne pouvait pas agir de la sorte. Aussi, dans cet arrêt, la CA a rejeté la demande en considérant que le contrat d'assurance pouvait être souscrit par n'importe lequel des époux, conformément à l'article 220 du cc, et s'avérait en conséquence, résiliable par chacun d'eux. [...]
[...] C'est donc cette faute du mari que la troisième chambre civile a sanctionnée de façon originale par une interprétation douteuse, de l'article 215 alinéa 3. Finalement, au regard des deux décisions qui nous intéressent et tout comme l'a affirmé un auteur, il sera désormais plus facile de dénombrer ce qui ne relève pas de l'article 215 al 3 du cc que ce qui ne tombe pas dans son champ d'application. En effet, les deux arrêts en présence manifestent l'aptitude de la CC à étendre le domaine de ce texte. [...]
[...] Et c'est précisément parce qu'une telle interprétation n'est pas sans conséquence qu'il convient d'émettre quelques réserves quant à l'extension qu'elle semble vouloir prôner Incidences de l'exigence du consentement du conjoint D'une, exiger le consentement de l'époux perturbe le droit de propriété du conjoint titulaire d'un bien propre et encadre la faculté de renoncer à la jouissance du bien en cause, quelle que soit la nature du doit permettant d'assurer à la famille la jouissance d'un logement affecté à cet effet. En réalité, l'époux propriétaire individuel de l'immeuble ne peut exercer seul et de manière absolue son droit exclusif d'en disposer. La destination du bien lui impose de requérir l'accord de son conjoint. L'intérêt égoïste du propriétaire est donc primé par celui de la famille. C'est pourquoi dans la première espèce, la Cour de cassation refuse d'admettre que le fait de céder la nue-propriété soit bénin et puisse échapper à la condition de l'accord. [...]
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