La possession d'état est le fait pour un individu de se comporter comme s'il était titulaire d'un état, ici celui d'enfant. Une loi du 25 juin 1982 a fait de la possession d'état un mode d'établissement de la filiation. Cependant, elle conserve un statut à part puisqu'elle est fondée sur une réalité sociologique et non une vérité biologique.
L'arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation se positionne sur le mode d'établissement de la preuve de la possession d'état quelque peu dérogatoire par rapport aux autres actions relatives à la filiation.
En l'espèce, Ernest X, né le 4 juin 1928, a été reconnu par sa mère mais pas par son père. Il établit un acte de notoriété qui constate qu'Emile Y serait son père naturel. Et le 10 juillet 1998, il assigne Emile Y en constatation de possession d'état. Etant donné que les deux hommes sont décédés en cours de procédure, leurs héritiers respectifs reprennent l'instance.
Un appel est interjeté. L'arrêt de la Cour d'appel de Colmar du 27 janvier 2003 déboute Ernest X de son action en constatation de possession d'état d'enfant naturel. Les héritiers d'Ernest X se pourvoient en cassation.
Dans leur pourvoi, les héritiers invoquent le principe que « l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder ». Or, en l'espèce, la cour d'appel a rejeté la demande d'expertise biologique sans donner de motif expliquant son refus. La cour d'appel a, selon les héritiers d'Ernest X, violé les articles 311-1 et 334-8 du Code civil ainsi que l'article 146 du NCPC.
La Cour de cassation doit trancher un problème de preuve lors de l'action en constatation de possession d'état. La question à laquelle la Cour de cassation est confrontée est de savoir si l'expertise biologique est de droit pour rapporter la preuve de la possession d'état lors d'une action en justice.
Dans son arrêt du 6 décembre 2005, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi au motif qu'en matière de constatation de possession d'état, la preuve s'établit par tous moyens. Ainsi, pour cette action, l'expertise biologique n'est pas de droit. La Cour précise ensuite qu'aucune relation socio affective ou matérielle n'a été relevée entre les deux hommes. De plus, comme l'acte de notoriété et les témoignages sont contestés et qu'ils ne sont pas confirmés par d'autres faits, la Cour en a déduit que la possession d'état n'était pas établie. Ainsi, l'expertise biologique était inutile puisque aucune relation affective n'a pu démontrer l'existence d'une possession d'état.
Ainsi, pour cerner la portée essentielle de cet arrêt, il convient, dans un premier temps de se pencher sur l'inutilité effective de la mesure d'expertise biologique pour établir une réalité socio affective (I), pour ensuite s'intéresser au fait que cette solution est contestable et devrait s'aligner sur les autres modes d'établissement de la filiation (II).
[...] En effet, l'expertise biologique n'est pas de droit en matière de constatation de possession d'état, cela ne signifie pas qu'elle est interdite, mais que le juge n'est pas obligé d'y avoir recours si on la lui demande. Par conséquent, il peut l'accepter ou la refuser. Si la Cour de cassation avait admis la possession d'état tout en refusant l'expertise biologique, la filiation d'Ernest X aurait été établie à l'égard d'Emile sans qu'aucun lien de sang ne soit concrètement établi entre les deux hommes. Les héritiers d'Ernest X auraient donc pu bénéficier de l'héritage d'Emile Y alors que la possession d'état n'avait peut-être pas duré plus de quelques années entre les hommes. [...]
[...] En effet, la solution aurait été identique, même si les juges avaient admis l'expertise biologique de droit. Dans la mesure où Emile Y est décédé au cours de l'instance, l'expertise biologique n'aurait pas pu être ordonnée puisque depuis la loi du 6 août 2004 l'expertise post mortem est interdite. On n'aurait pas pu procéder à une exhumation du corps pour faire une analyse ADN comme cela s'est vu dans l'affaire Montand. Ainsi, cette décision reflète l'intention de fonder une jurisprudence et non de statuer en l'espèce. Il s'agit donc plus ou moins d'un arrêt de principe. [...]
[...] Par ailleurs, la motivation apportée par la Cour de cassation est inappropriée et peu convaincante. En effet, la preuve est également libre pour les autres actions relatives à la filiation, ce qui n'empêche pas que pour celles-ci l'expertise biologique soit de droit. Ceci révèle que la Cour a rencontré des difficultés à justifier sa solution puisque celle-ci va à l'encontre des autres établissements de la filiation qui se fondent sur un aspect biologique. De plus, les preuves utilisées pour établir la possession d'état sont légères et aisément contestables. [...]
[...] Il pourrait donc y avoir une filiation d'établie alors qu'Emile n'avait pas de réel lien avec cet enfant. D'autant plus que jamais Ernest n'avait essayé auparavant d'établir sa filiation par le biais d'une action en recherche de paternité où il aurait pu bénéficier de l'expertise des sangs de droit (avait-il peur que l'expertise ne révèle alors qu'il n'y avait aucun lien de parenté ou n'avait-il aucune envie de voir établir sa filiation à l'égard d'un homme qu'il n'affectionnait pas Ceci révèle que cette filiation n'est demandée que dans un but purement successoral ; des intentions bien peu orthodoxes qui contrastent avec une possession d'état fondée sur des relations affectives et humaines traduisant un lien de cœur entre deux personnes. [...]
[...] Cette situation poserait alors une grande exception au recours à l'action en contestation de filiation. Elle pourrait s'expliquer par le fait qu'une possession d'état constatée par jugement est forcément bonne et correspond obligatoirement à la réalité biologique. Pourtant, comme l'expertise biologique n'est pas de droit dans ce domaine, les juges étant humains ils peuvent se tromper. Par ailleurs si le législateur n'a pas prévu d'action en contestation quand une possession d'état a été constatée par jugement, c'est peut-être qu'il envisageait que soit établi le lien biologique au cours de l'action en constatation de possession d'état. [...]
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