Lors de l'examen de l'actif de la communauté, une distinction parfois délicate entre les masses de biens propres et la masse commune est à opérer. La règle de l'article 1408 du Code civil aide à cette distinction en réputant propre l'acquisition par un époux commun en biens de la portion d'un bien dont il était initialement propriétaire indivis. Les deux arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation distants de dix années (entre 1993 et 2003) viennent en préciser le régime et la portée.
Dans l'arrêt de la première Chambre civile en date du 13 octobre 1993, un époux marié sous le régime légal et propriétaire indivis pour un quart d'un immeuble reçoit à titre de licitation de la part des autres co-indivisaires leurs quotes parts respectives. Il vend à un tiers l'immeuble par acte sous sein privé et à la demande de l'acquéreur l'acte est réitéré sous la forme authentique. Les notaires rédacteurs de ce dernier acte ont attesté à la conservation des hypothèques que la vente avait été réalisée par les deux conjoints. L'épouse a interjeté appel contre l'arrêt datant de 1988 qui a permis cette réitération en relevant que le bien était commun pour ses trois quarts (c'est-à-dire ceux reçu par licitation) et que la mention de sa présence à la vente se trouvait erronée. L'affaire est renvoyée suite à son pourvoi devant une nouvelle Cour d'appel qui rend son arrêt en 1991. Un nouveau pourvoi est formé contre cette décision par les notaires dont les moyens ne sont pas reproduits.
Dans l'arrêt de la première Chambre civile rendu le 11 juin 2003 les faits sont de toute autre nature puisqu'ils se déroulent dans le cadre d'une instance de divorce. Deux époux ayant choisi de divorcer sur requête conjointe décident de rendre commun un immeuble appartenant en propre au mari par mention sur la convention définitive réglant les effets de leur divorce. Le bien en question dont l'époux n'était initialement que propriétaire indivis avait été acquis grâce aux deniers de la communauté. Ce même époux ne pouvant contester la convention définitive de divorce chercha près de dix ans plus tard à engager la responsabilité du notaire. Il forme un pourvoi contre l'arrêt de Cour d'appel qui a rejeté ses demandes et s'appuie sur un moyen unique divisé en 5 branches. La première énonce la violation par l'arrêt du caractère impératif de 1408. La deuxième, troisième et cinquième branches sont jugées inopérantes ou écartées par la Cour de cassation, elles sont dirigées essentiellement vers l'engagement de la responsabilité du notaire et un non respect des règles de la prescription. Enfin dans sa quatrième branche, le demandeur fait prévaloir une violation de l'article 1134 du code civil : il aurait été mal informé par le notaire de la nature propre de son bien et des conséquences de la convention conclue.
S'agissant des positions respectives des Cours d'appel, dans la première espèce, elle a condamné par son arrêt du 29 août 1991, les notaires au versement de dommages et intérêts à l'épouse car ils avaient réalisé l'acte de vente sans requérir son consentement, le mari ne pouvait disposer seul de l'immeuble. L'arrêt estime que l'acquisition des quotes part de l'immeuble a été réalisé conjointement et de ce fait l'immeuble est commun : la dérogation faite à la règle de l'article 1408 serait licite.
Tandis que dans la seconde espèce, la Cour d'appel a rejeté les demande de l'époux en estimant que le couple pouvait disqualifier dans le cadre de la convention définitive de divorce le bien étant initialement un propre du mari en un bien commun. Cette disqualification a permis de régler les effets du divorce et notamment la question de la prestation compensatoire, ce dont l'époux ne pouvait être que pleinement conscient.
La cour de cassation a dans ces deux espèces été confrontée à la question de l'application de l'article 1408 du code civil : la première Chambre civile a du se demander dans quelle mesure est-il possible que les époux dérogent aux dispositions de l'article 1408 du Code civil ?
D'une part, dans l'arrêt du 13 octobre 1993, la Cour de cassation casse partiellement l'arrêt de la Cour d'appel s'agissant de la condamnation des notaires au versement des dommages et intérêts au motif que l'article 1408 du Code civil est impératif, les époux ne peuvent aucunement y déroger. Elle énonce également que le fait que la femme figure à l'acte ne change pas la nature propre du bien. D'autre part, l'arrêt du 11 juin 2003 rejette le pourvoi et rappelle le caractère impératif de l'article. Néanmoins, les dérogations sont possibles lorsqu'il s'agit de régler les effets du divorce dans le cadre de la convention définitive de divorce. Elle fonde sa décision sur le principe de l'immutabilité des régimes matrimoniaux auquel il semble pouvoir être porté relativement atteinte à la sortie du mariage.
L'intérêt de ces deux décisions est de préciser le régime de l'article 1408 du Code civil et de voir comment les règles régissant le régime de communauté peuvent s'adapter selon que les époux les appliquent ou y dérogent pendant la durée de leur mariage ou bien lors de la dissolution de la communauté. Ces arrêts permettent de voir comment la Cour de cassation peut poser un principe et y apporter une atténuation quelques années plus tard tout en ne reniant pas le principe originaire.
Il sera mis en évidence que la force de l'impérativité de l'article 1408 dépend d'un élément : selon que les époux souhaitent y déroger pendant leur mariage ou seulement à sa sortie(I). Par ailleurs, les deux arrêts ont un fondement commun tantôt à peine suggéré, tantôt explicitement exprimé, il s'agit de celui de l'immutabilité des régimes matrimoniaux(II).
[...] Seule une demande de changement ou simplement de modification de leur régime par l'intermédiaire de la procédure prévue à l'article 1397 du Code civil est envisageable. Elle nécessite jusqu'au 1er janvier 2007 un accord du juge qui procède ou non à l'homologation de la modification envisagée. Du fait de l'impérativité de la règle de 1408, les époux sont impuissants pour changer seuls, du seul fait de leur volonté la qualification de leur bien y compris pour ceux relevant de l'article 1408 du Code civil. [...]
[...] Il faut relever que l'arrêt ne fait néanmoins aucune référence a cet article. Il faut noter que cette règle est désormais transcrite depuis 2004 dans un article 265-2 du Code civil qui a ajouté que lorsque la liquidation porte sur des biens soumis à la publicité foncière, la convention doit être passé par acte notarié ce qui n'était pas le cas avant. Cette remarque ne change rien à l'argumentation dans la mesure où les époux bien que divorçant sur requête conjointe, avaient passé leur convention grâce a un acte notarié (ce qui n'était pas exigé explicitement par l'article 1450 du Code civil a la date de leur convention.) Il pourrait être également soulevé que cette solution participe du mouvement de pacification des divorces notamment quant ses aspects financiers et afin de les rendre plus rapides. [...]
[...] Il aurait pu être pensé que ce bien serait considéré comme un acquêt de communauté mais le législateur a choisi d'en faire un bien propre même si son acquisition a été réalisé au moyen de deniers de la communauté. L'époux propriétaire devra seulement récompense à la communauté qui a financé l'acquisition. De la lecture et de l'étude du texte de l'article, rien ne montre le moindre caractère supplétif étant donné qu'il ne prévoit pas la possibilité de stipulation contraire dans l'acte d'acquisition. [...]
[...] L'objectif de non-complexification de la propriété ne semble pas être totalement satisfait. Il pourrait être posé pour finir la question de savoir si ces solutions risquent d'être ou non d'être réitérées après l'entrée en vigueur au 1er janvier 2007 de la reforme de l'article 1397. On pourrait supposer que non, le caractère impératif de cette règle devrait perdurer, il n'y a pas de raison que les époux soit autorisé à changer la qualification de tels biens par simple acte notarié, ils devront toujours se soumettre à la procédure légale de changement même si celle-ci à l'avenir ne se déroule plus nécessairement devant le juge. [...]
[...] Néanmoins, la Première Chambre civile dans son arrêt du 11 juin 2003 va venir préciser la portée de cette impérativité en énonçant qu'il est possible d'écarter la règle dans certaines circonstance. Une impérativité que l'on pensait absolue ne le serait elle peut être pas autant qu'elle apparaissait dix ans plus tôt à la lecture de la solution de 1993. En l'espèce, un couple marié sous le régime légal disqualifie dans sa convention définitive de divorce un bien propre du mari en bien commun afin de régler la question de la prestation compensatoire revenant a l'épouse. [...]
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