« En s'engageant, toute personne saine d'esprit vise un but. En posant que la cause doit exister et être licite, le Code civil exige que ce but soit réalisable, et qu'il ne heurte pas l'ordre public et les bonnes mœurs » (Mrs Terré, Simler et Lequette, Droit civil les obligations, Précis 9e, D)
Par un arrêt en date du 29 octobre 2004, la Cour de cassation réunie en Assemblée plénière a eu l'occasion de se prononcer sur la question de la licéité de la cause en ce qui concerne les libéralités faites lors de relations adultérines.
La demanderesse, jeune femme de trente et un ans entretenait des relations avec un homme d'âge mûr (quatre-vingt-quinze ans), depuis plus de quinze ans. A son décès, celle-ci apprend qu'elle est la légataire universelle par le dernier testament authentique du défunt, dont la relation avec la bénéficiaire pouvait être qualifiée d'extraconjugale, celui-ci était en effet marié depuis presque soixante-dix ans.
Les demanderesses sont en réalité au départ la veuve et la fille du testateur, qui estent en justice afin de contester la délivrance du legs à la bénéficiaire, en en demandant la nullité.
[...] Ainsi, une cause illicite entraine la nullité de la convention, et l'illicéité peut être due à l'immoralité de la cause, qui consiste en un interdit social qui restreint la liberté contractuelle (selon Mrs Terré, Simler et Lequette) ce qui fait l'objet même du litige en l'espèce. En effet, est-ce contraire aux bonnes mœurs le fait, que lors d'une relation extraconjugale, l'adultérin de cujus ait établi un testament authentique permettant le legs universel de ses biens à sa concubine, dont la relation semblait incontestablement intéressée, celle-ci étant bien plus jeune que le défunt, et demandant rémunération contre ses services, et non à sa femme dont le mariage était maintenu depuis une très longue durée ? [...]
[...] Toutefois, une évolution jurisprudentielle a donc mis un terme à cette conception, rendant légitime ce type de libéralité, allant à l'encontre de l'institution du mariage comme expliqué ci-dessus, posant donc en principe que n'est pas, en soi, nulle comme contraire aux bonnes mœurs, la cause de la libéralité dont l'auteur entend faire bénéficier la personne avec laquelle il entretient une telle relation. Peu importe donc le type de relation extraconjugale, intéressée ou non. Il semble judicieux de noter que le fait que l'assemblée plénière ait approuvé cette solution et l'ait énoncée dans un attendu de principe situé dès le début du texte de l'arrêt permet de mesurer la portée qu'elle a entendu donner à cette décision. [...]
[...] Par ces éléments, la Cour d'appel statuant sur renvoi, effectuant un contrôle des mobiles, a donc établi que la libéralité testamentaire n'avait que pour seule vocation de rémunérer les faveurs de la bénéficiaire, ce qui était contraire aux bonnes mœurs : en effet, le but de cette lettre était pour le testateur de justifier ses retards de paiement suite à un congé maladie. Les juges du fonds ont par conséquent, jugés bon de revenir à la conception traditionnelle, en reconnaissant l'immoralité de cette libéralité, qui va directement à l'encontre même du principe de fidélité consacré par l'institution solennelle du mariage, et qu'il est de plus inconsidéré pour la bénéficiaire de recevoir cette libéralité, alors même que sa relation avec le testateur ne reposait que sur la notion d'intérêt, et non pas sur une relation sentimentale, qui aurait permis d'envisager la possibilité que le paiement avait pour optique de ne pas laisser sans ressource sa concubine. [...]
[...] C'est pourquoi la bénéficiaire de la libéralité devient à son tour la demanderesse, contestant la décision statuant sur renvoi : la Cour de cassation se réunit dès lors en Assemblée plénière pour statuer définitivement sur le pourvoi ainsi formé. Le jugement statuant sur renvoi semble légitime : en effet, a été apportée durant la procédure, une lettre manuscrite du défunt, à l'intention des parents de la bénéficiaire, lettre rédigée cinq ans auparavant le décès du testateur, dans laquelle les propos tendent à établir la relation d'intérêt entre les amants, celui-ci rémunérant la demanderesse, afin qu'elle l'accompagne, à toute heure, et à tout endroit, ceci comprenant des relations d'ordre privé. [...]
[...] La bénéficiaire peut-elle accepter ce legs, ou ce legs se doit-il d'être annulé pour cause d'immoralité ? En l'espèce, il s'agit de déterminer si la cause est ou non contraire aux bonnes mœurs, puisque ce concept, bien que difficilement défini, représente des normes fondamentales pour l'ordre même de la société (Mrs. Terré, Simler, Lequette.), il s'agit donc pour les magistrats en charge du litige, réunis en Assemblée plénière, d'étendre la recherche de la cause aux mobiles qui ont animé la libéralité : on peut constater, par ce mode de réunion de la Cour de cassation, l'importance du contentieux, en effet, ce litige ayant dans un premier temps accepté le legs, jusqu'à la cassation de la Cour, ayant permis au jugement de la Cour d'appel statuant sur renvoi d'établir la nullité de la convention pour cause d'immoralité. [...]
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