La mission présidée par le vice-président du Conseil d'État, Denoix de Saint-Marc, dans son rapport au premier ministre de 1996 soulignait que « sans que la démarche française et communautaire soient incompatibles, le cadre juridique communautaire peut entrer en conflit avec l'organisation présente du service public en France, surtout celle des réseaux nationaux. Il arrive, en particulier, que les directives communautaires restreignent ou résignent à néant le champ du monopole ».
L'intérêt général est au cœur de la pensée juridique française depuis plus de deux cents ans, en tant que finalité ultime de l'action publique. Depuis le XVIIIe, deux conceptions de l'intérêt général s'affrontent. L'une d'inspiration utilitariste, ne voit dans l'intérêt général que la somme des intérêts particuliers. L'autre d'essence volontariste, exige le dépassement des intérêts particuliers, c'est l'expression de la volonté générale, ce qui confère à l'Etat la mission de poursuivre des fins qui s'imposent à l'ensemble des individus.
Il convient donc de s'interroger sur l'apparente contradiction entre la vision d'intérêt général « à la française » et celle de concurrence promue par la construction européenne, leur compatibilité ou incompatibilité ; et ainsi de définir les limites juridiques du champ d'application de la notion de concurrence, et l'impact sur la liberté d'organisation des services publics.
[...] Le libéralisme contemporain donne quant à lui une nouvelle formulation à la vision utilitariste, et s'appuie sur la notion de concurrence. Celle- ci repose sur le postulat que, dans la majorité des cas, la concurrence assure à la fois le degré le plus élevé d'efficacité et l'allocation équitable des ressources productives ; ceci exige le respect de trois principes, la liberté d'accès au marché, la pluralité des acteurs suffisante pour qu'aucun d'entre eux ne puisse dominer le marché ou se libérer de ses disciplines et l'autonomie de décision pour chaque opérateur. [...]
[...] De nouveaux pas ont ensuite été franchis avec l'examen au regard du droit de la concurrence d'actes de gestion du domaine public (CE mars 1999, Société EDA) et d'actes de police administrative (CE novembre 2000, Société L&P Publicité SARL). Par ces deux décisions le Conseil d'Etat, dans la ligne de la jurisprudence Million et Marais, a décidé pour apprécier la légalité d'actes relatifs respectivement à la gestion du domaine public et à l'exercice du pouvoir de police administrative d'intégrer le droit de la concurrence dans le bloc de légalité applicable. Il y a une exigence de bonne gestion et de ne pas porter atteinte au fonctionnement concurrentiel du marché. [...]
[...] Mais la question s'est posée de savoir si une distinction pouvait être faite entre d'une part la décision administrative de la personne publique, soumise au contrôle du juge administratif, et le comportement de cette personne publique, soumise aux autorités de la concurrence. Le 6 juin 1989, le Tribunal des Conflits a rendu sa décision Ville de Pamiers Le TC a consacré le principe de détachabilité : l'acte administratif en lui-même ne peut faire l'objet que d'un contrôle administratif, mais les activités économiques des personnes publiques peuvent être l'objet d'un contrôle du conseil de la concurrence. Solution acceptée par le Conseil de la concurrence (12 juillet 1990, décision relative aux pratiques relevées sur le marché de la banane). [...]
[...] La CJCE, dans son arrêt Corbeau du 19 mai 1993, a considéré que dès lors que les caractéristiques d'un service d'intérêt général et qu'ont donc été précisé les obligations de service public assumées par l'autorité à charge de ce service, des restrictions à la concurrence peuvent être justifiées pour assurer l'équilibre économique de celui-ci. Ainsi la fourniture d'énergie électrique sur tout le territoire concédé et à des conditions égales pour tous constituant un service d'économie générale, des restrictions à la concurrence sont possibles si elles sont nécessaires à l'entreprise pour assurer sa mission, compte tenu des coûts qu'elle doit supporter et des réglementations, particulièrement en matière d'environnement (CJCE avril 1994, Commune d'Almelo). [...]
[...] Il convient donc de s'interroger sur l'apparente contradiction entre la vision d'intérêt général à la française et celle de la concurrence promue par la construction européenne, leur compatibilité ou incompatibilité ; et ainsi de définir les limites juridiques du champ d'application de la notion de concurrence, et l'impact sur la liberté d'organisation des services publics. Si droit communautaire et droit interne convergent pour soumettre les personnes publiques à la concurrence, ce principe se voit limité par la nécessité de protéger l'intérêt général Garantie au niveau communautaire, la conciliation des règles de concurrence et du principe d'intérêt général est également assurée au niveau national par le juge administratif (II). [...]
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