La soumission du secteur public au droit communautaire de la concurrence s'est pendant longtemps opérée sans tenir compte de l'importance de ce secteur public ; face aux réactions et aux critiques des Etats-membres, les institutions communautaires ont alors pris acte de ses spécificités en admettant qu'elles pouvaient justifier des dérogations aux règles du Traité, au nom de l'intérêt général. Par voie de conséquence, elles ont été contraintes de limiter les exigences inhérentes au droit de la concurrence.
En outre, il est à souligner que le texte du Traité CE prévoit la possibilité de déroger aux règles du droit communautaire puisque l'article 86-II dispose que « les entreprises chargées de la gestion d'un service d'intérêt économique général (SIEG) ou d'un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent Traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait à la mission particulière qui leur a été impartie ». Mais la Cour a longtemps adopté une position très stricte qui impliquait une logique de pleine soumission des SIEG au droit communautaire de la concurrence. Le critère de la nécessité était entendu avec rigueur, les dérogations ne s'appliquant que si la mission d'intérêt général était rendue totalement impossible (CJCE, 20 mars 1985 «British Telecom»).
[...] La reconnaissance des spécificités du secteur public s'est alors traduite par un assouplissement de la position de la Cour qui a notamment permis aux entreprises gérant un SIEG de bénéficier des règles dérogatoires au droit de la concurrence. En effet, la CJCE a infléchi sa jurisprudence dans l'arrêt Corbeau du 19 mai 1993 : en l'espèce, une loi belge conférait à la régie des postes un droit exclusif (donc un monopole) sur toute l'étendue du royaume, en ce qui concerne la collecte, le transport et la distribution du courrier. [...]
[...] Elles sont plus importantes encore dans les secteurs tels que le gaz et l'électricité. D'ailleurs, l'arrêt de la Cour du 27 avril 1994 commune d'Almelo s'inscrit justement dans la lignée de l'arrêt Corbeau : elle précise que l'article 90-II du TCEE doit être interprété en ce sens que l'application, par une entreprise régionale de distribution d'énergie électrique, d'une clause d'achat exclusif échappe aux interdictions des articles 85 et 86 (règles de la concurrence), dans la mesure où cette restriction à la concurrence est nécessaire pour permettre à cette entreprise d'assurer sa mission d'intérêt général. [...]
[...] En d'autres termes, la réunion de ces conditions implique la limitation des dérogations autorisées par l'article 90-II puisque même dans le cas où l'entreprise titulaire de droits exclusifs gère un SIEG, les règles de la concurrence s'appliquent. La cour précise néanmoins au considérant 20 que ce n'est pas à elle mais à la juridiction nationale de renvoi (donc ici le tribunal belge) d'examiner au cas par cas si les services en cause répondent à ces critères et s'ils justifient l'ouverture à la concurrence. [...]
[...] Il faut pour cela tenir compte de la nature et des conditions dans lesquelles ces services sont offerts, comme le secteur géographique. La Cour fait ici référence au secteur géographique dans lequel M. Corbeau avait décidé de fournir son service de courrier accéléré, à savoir la ville de Liège et ses environs. L'ouverture de ces services à la concurrence ne doit donc pas remettre en question l'équilibre économique du SIEG assumé par le titulaire du droit exclusif : par cette exigence, la Cour reconnaît implicitement que le SIEG prime sur le service spécifique quand l'offre de ce dernier vient compromettre l'équilibre de l'autre en détournant de manière importante sa clientèle. [...]
[...] Toutefois, si la Cour admet que des dérogations au droit communautaire de la concurrence puissent bénéficier aux entreprises gérant un SIEG, notamment par la prise en compte de l'équilibre économique de celle-ci, elle vient immédiatement poser les limites d'un tel pouvoir de dérogation. II les apports de l'arrêt : les limitations aux dérogations du droit communautaire de la concurrence et l'influence sur la reconnaissance du secteur public. Cet arrêt illustre la prise en compte, pour la première fois par la Cour, des spécificités du secteur public avec la reconnaissance de possibles dérogations au droit de la concurrence. [...]
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