L'ensemble de l'économie peut ainsi être victime des ententes ou encore des abus de position dominante lorsque ceux-ci se révèlent particulièrement offensifs. La jurisprudence a donc créé la notion de "dommage à l'économie" afin de représenter, et de sanctionner, de tels comportements. Cette notion est au coeur d'un arrêt de la chambre commerciale du 7 avril 2010, dans l'affaire du cartel des mobiles.
La procédure mise en place dans cette affaire est relativement complexe. Au départ, l'UFC-Que Choisir avait saisi le Conseil de la Concurrence, reprochant aux opérateurs Orange, SFR et Bouygues Télécom d'avoir établi un accord secret portant sur une stabilisation de leurs parts de marché autour d'objectifs définis en commun et d'avoir échangé des informations confidentielles stratégiques.
La Cour de cassation devait répondre à deux questions proches (en ce qu'elles se rapportent toutes les deux à des pratiques concurrentielles, mais distinctes (car l'une touche à la nature des pratiques mises en cause, et l'autre à l'appréciation des conséquences de ces pratiques) : dans quel cas l'échange d'informations entre concurrents sur un marché oligopolistique peut-il constituer une pratique anticoncurrentielle ? Le dommage causé à l'économie peut-il être présumé par le juge, ou doit-il au contraire être expressément prouvé, évalué et sanctionné en proportion ?
[...] Elle aurait dû vérifier si oui ou non le dommage causé à l'économie était réel, pour ensuite pouvoir l'évaluer (ce qu'elle a fait dans un arrêt du 19 janvier 2010 concernant une entente sur le marché des produits sidérurgiques, en considérant que le dommage causé à l'économie par les pratiques poursuivies n'avait pas eu l'importance considérable dénoncée par le Conseil de la concurrence et que ce dommage devait au contraire être considéré comme certain mais modéré). Ce revirement de jurisprudence peut s'expliquer par la volonté de la Haute Juridiction de sanctionner le plus efficacement possible les pratiques anti concurrentielles. [...]
[...] En effet, es sanctions prises par l'Autorité de la Concurrence obéissent à deux logiques : d'une part, elles visent à assurer l'indemnisation de la victime et, d'autre part, elles poursuivent un but dissuasif. Elles ont vocation à refléter le dommage causé à l'économie en général et non à réparer le préjudice subi par les parties (pour obtenir réparation de ce préjudice, celles-ci peuvent cependant se tourner vers le juge civil pour demander des dommages et intérêts), elles interviennent donc suite aux dommages portés à l'économie par les comportements anti-concurrentiels, et sont censées redistribuer les surprofits réalisés par l'entreprise coupable vers les caisses de l'État. [...]
[...] La Cour de cassation a ainsi précisé qu'« en se déterminant ainsi, sans rechercher de façon concrète, comme elle y était invitée, si l'échange régulier, de 1997 à 2003, d'informations rétrospectives entre les trois entreprises opérant sur le marché, en ce qu'il portait sur certaines données non publiées par l'ART ou intervenait antérieurement aux publications de cette autorité, avait eu pour objet ou pour effet réel ou potentiel, compte tenu des caractéristiques du marché, de son fonctionnement, de la nature et du niveau d'agrégation des données échangées qui ne distinguaient pas entre forfaits et cartes pré-payées, et de la périodicité des échanges, de permettre à chacun des opérateurs de s'adapter au comportement prévisible de ses concurrents et ainsi de fausser ou de restreindre de façon sensible la concurrence sur le marché concerné, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision Elle pose par là-même les conditions de la reconnaissance de cet échange en tant que pratique anticoncurrentielle. En ce sens, l'arrêt du 7 avril 2010 consiste presque en un examen de l'application de ces critères par la Cour d'appel, devant laquelle l'affaire a été renvoyée. [...]
[...] Il s'agit bien là d'un cas de réduction de l'autonomie commerciale de plusieurs sociétés dans le cadre d'une politique de coordination, aux fins de limiter l'accès au marché, empêcher la libre fixation des prix par le jeu du marché. La violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 101 paragraphe 1 du Traité sur le fonctionnement de l'UE article 81 du Traité CE) est donc manifeste, tous deux interdisant les pratiques qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence La Cour de cassation ne retient cette fois aucun défaut de motivation. [...]
[...] Par un arrêt en date du 12 décembre 2006, la cour d'appel de Paris avait entièrement confirmé cette décision (amende record de 534 millions d'euros). Statuant le 29 juin 2007, la Cour de cassation a définitivement validé le grief d'entente (soit plus de de l'amende initiale décidée par le Conseil de la concurrence) mais jugé insuffisamment motivé l'arrêt de la Cour d'appel concernant les échanges d'informations. L'arrêt de la Cour d'appel de Paris a donc été censuré, la Haute Juridiction refusant de considérer qu'un échange d'informations entre concurrents constituait une pratique anticoncurrentielle sans que soient mis en évidence l'objet et/ou l'effet anticoncurrentiel d'un tel échange. [...]
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