Le District de l'agglomération dijonnaise a décidé en 1998 de passer un contrat de marché public en vue de procéder au renouvellement du système d'information géographique du district. Par une décision du 4 décembre 1998, le président du district a rejeté l'offre de la Société Jean-Louis Bernard Consultants pour l'attribution de ce marché, lequel a été attribué à l'Institut géographique national.
Non contente de voir refuser l'attribution de ce marché, la société Jean-Louis Bernard Consultants a saisi le tribunal administratif de Dijon en vue d'obtenir l'annulation des deux décisions du président du District de l'agglomération dijonnaise : celle de rejeter son offre d'une part et celle d'attribuer le marché à l'Institut géographique national d'autre part. La société a en outre demandé que l'agglomération lui verse 15 000 Frs au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Saisis d'une question sur laquelle aucune juridiction n'avait jamais été amenée à se prononcer, les juges du tribunal administratif de Dijon, en application de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1987, ont décidé de soumettre au Conseil d'Etat la question suivante : « le principe de liberté de la concurrence qui découle de l'ordonnance du 1er décembre 1986 fait-il obstacle à ce qu'un marché soit attribué à un établissement public administratif qui, du fait de son statut, n'est pas soumis aux mêmes obligations fiscales et sociales que ses concurrents ? »
Dans un avis contentieux du 8 novembre 2000, les juges du Conseil d'Etat sont venus répondre à cette question. Leur raisonnement s'articule ainsi : c'est parce que les obligations fiscales et sociales des établissements publics administratifs sont comparables à celles des entreprises privées qu'elles peuvent se voir attribuer un marché public.
Avant de s'interroger sur le sens et la portée de cet avis, il convient de définir quelques notions indispensables à la compréhension du sujet.
L'avis contentieux est défini par l'article L. 113-1 du CJA : « avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut, par un jugement ou un arrêt qui n'est susceptible d'aucun recours, transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d'Etat, qui examine dans un délais de trois mois la question soulevée ».
En vertu du principe de liberté du commerce et de l'industrie dont bénéficient les entreprise privées, les initiatives publiques sont interdites dans les domaines où s'exercent des activités privées. Ce principe connaît cependant des exceptions. Dans un arrêt du 29 mars 1901, Casanova, le Conseil d'Etat a admis la création d'un service public dans un domaine normalement de l'initiative privée en raison de « circonstances exceptionnelles ». Le principe s'est encore vu assoupli par l'arrêt du 30 mai 1930, Commerce de détail de Nevers, dans lequel le Conseil d'Etat se contente « de circonstances particulières de temps et de lieu ». Cette formule a ensuite été précisée au fur et à mesure de la jurisprudence administrative.
Dans la mesure où, depuis plus de cent ans, le juge administratif admet que des personnes publiques fassent concurrence à des personnes privée, on peut se demander si les entreprise privées ne risquent pas de se voir supplanter par les établissements publics, ceci d'autant plus que dans sa question posée au Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Dijon laisse entendre que les établissement publics administratifs se trouvent dans une situation fiscale et sociale avantageuse.
Si dans son avis contentieux le Conseil d'Etat réaffirme le principe de liberté de la concurrence et ouvre de ce fait l'attribution aux personnes publiques de marchés publics (I), ce n'est que pour mieux en définir les conditions afin d'assurer le respect de l'égale liberté (II).
[...] Dans cet arrêt, le Conseil reconnaît que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ne fait pas obstacle par lui-même à ce qu'un établissement public se porte candidat à l'obtention d'une délégation de service public proposée par une collectivité territoriale. Dès lors, on peut se demander pourquoi, moins d'un mois après avoir rendu cet arrêt, le Conseil d'Etat a jugé nécessaire de rendre un avis contentieux sur cette question, et qui plus est, un avis largement motivé. [...]
[...] Ou au contraire, l'avis rendu concerne- il le cas d'espèce et il est possible que la candidature d'un EPA ne soit pas retenue pour l'attribution d'un marché public s'il se trouve dans une situation fiscale et sociale avantageuse ? Le Conseil d'Etat a pris le soin de largement motiver son avis : il se réfère par exemple au code général des impôts et pose des affirmations générales : aucun texte ni principe n'interdit, en raison de sa nature, à une personne publique de se porter candidate à l'attribution d'un marché public ou d'un contrat de délégation de service public On peut donc en déduire que le principe de liberté de la concurrence qui découle de l'ordonnance du 1er décembre 1986 n'est pas contraire à ce que tous les établissements publics administratifs se voient attribuer des marchés publics. [...]
[...] Ainsi, même après lecture de l'arrêt d'octobre, il était légitime de se demander si la candidature d'un établissement public dans ce cas, bien que respectueuse du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, ne constituait pas une violation du principe de la liberté de la concurrence, ceci d'autant plus que le premier principe a été constitutionnalisé par les décisions du 16 janvier 1982 et du 27 juillet 1982 du Conseil Constitutionnel alors que el principe de la liberté de la concurrence n'a que valeur décrétale puisqu'il découle de l'ordonnance de 1986. On l'a vu, dans son avis contentieux du 8 novembre 2000, le Conseil d'Etat n'innove pas : le principe qu'il énonce a déjà été posé certes moins d'un mois auparavant-. Mais c'est en ce qu'il vient préciser les conditions et la portée de ce principe que l'arrêt innove. [...]
[...] Ce principe est défini par le code des marchés publics qui dispose en son article 1er : quelque soit leur montant, les marchés publics respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement entre les candidats et de transparence des procédures Toutefois, cette disposition a été codifiée dans le code de 2001 : ainsi, lorsqu'il a rendu son avis en 2000, le Conseil d'Etat n'était pas tenu de faire respecter ce principe d'égal accès aux marchés publics. On peut dès lors se demander légitimement si cet avis contentieux n'atteste pas du rôle de la jurisprudence administrative comme source du droit public. [...]
[...] Mais est-ce uniquement en vue du respect de la légalité interne que le Conseil d'Etat a affirmé ce principe ? L'article 92-1 du traité de Rome devenu l'article 87-1 depuis le traité d'Amsterdam déclare incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en en favorisant certaines entreprises ou certaines conditions En effet, certaines contraintes pèsent sur les personnes publiques et pas sur les personnes privées. [...]
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