En 1960 a été créée l'AELE, l'association européenne de libre-échange. Conçue au départ par les Anglais comme une « contre CEE », cette organisation internationale avait pour but d'établir entre ses membres une zone de libre-échange. Mais à travers l'exigence du respect des quatre grandes libertés de circulation entre ses membres, la Communauté européenne avait le même but que l'AELE. Ainsi, jusqu'au début des années 1990 ont cohabité deux organisations internationales régionales à vocation économique : leur but était le même, elles ne se distinguaient que par leurs membres. Les deux organisations coopéraient de façon pragmatique et bilatérale. Toutefois cette coopération s'opérait de façon lente et discrète.
Lors d'un discours devant le Parlement européen le 17 janvier 1989, Jacques Delors, alors Président de la Commission, a préconisé la recherche d'« une nouvelle forme d'association, qui serait plus structurée sur le plan institutionnel, avec des organes communs de décision et de gestion, et ce afin d'accroître l'efficacité de [l'] action» dans le cadre des relations entre l'AELE et les CE. Cette initiative a été accueillie favorablement par les gouvernements des Etats membres de l'AELE qui, dès mars 1989, se sont déclarés prêts à étudier avec la Communauté européenne les moyens «de réaliser une forme d'association plus structurée avec des organes communs de décision et de gestion».
Cette association a pris le nom d'Espace économique européen (EEE). Ce traité a été conclu en mai 1992 par les Etats membres de la CE et ceux de l'AELE (exceptée la Suisse).
Bien entendu, la conclusion de cet accord n'a pas été sans poser problème : il ne faut pas oublier que l'AELE avait été créée à l‘origine par les eurosceptiques. Il est donc logique que les Etats membres de l'AELE n'aient pas eu les mêmes exigences quant au contenu et à la portée de l'EEE que les Etats membres de la CE. C'est notamment la question de la création d'un organe juridictionnel qui a posé problème. En effet, le projet d'accord portant création de l'Espace économique européen prévoyait à l'origine d'instituer une juridiction, a Cour EEE à laquelle aurait été rattachée un Tribunal de première instance.
Le 13 août 1991, la Commission a adressé à la CJCE une demande d'avis sur la conformité de cet accord au regard du droit communautaire. C'est l'article 300§6 du traité CE qui prévoit la possibilité pour l'une des institutions de saisir la Cour dans ce cas. Dans cet avis, rendu le 14 décembre 1991, la CJCE a conclu à l'incompatibilité du système de contrôle juridictionnel envisagé par l'EEE avec le traité CE. Or, lorsque la Cour est saisie sur le fondement de l'article 300§6 TCE et qu'elle rend un avis négatif, les institutions communautaires sont liées par cet avis. Elle doivent donc réviser le traité selon la procédure de l'article 48 TCE ou abandonner le projet d'accord international. Mais elles peuvent également choisir de renégocier les termes de l'accord en question.
Après l'avis 1/91, les institutions communautaires ont opté pour cette troisième solution. Un autre projet d'accord portant création de l'espace économique européen a été rédigé : il prévoyait la création d'une Cour AELE qui serait compétente notamment pour connaître des actions introduites dans le cadre de la procédure de surveillance de ces Etats. La CJCE a déclaré cet accord conforme avec le droit communautaire dans un avis 1/92. L'accord EEE a donc été conclu en 1992.
Nous n'étudierons ici que l'avis 1/91 (considérant 6 à 53). La Cour y conclue à l'incompatibilité de l'accord EEE avec le droit communautaire. Son argumentation est structurée de façon très didactique. Elle pourrait se résumer ainsi : l'accord EEE prévoit une homogénéité juridique, or, de part ses objectifs et son contexte, cette homogénéité n'est pas assurée ; donc l'accord EEE met en cause l'autonomie juridique de l'ordre communautaire. Mais en plus de répondre à la question dont ils avaient été saisis – celle de la conformité de l'accord EEE au traité CE-, les juges répondent de façon implicite à deux questions fondamentales. C'est en cela que cet avis présente un réel intérêt.
Comment, en partant de l'incompatibilité de la création de la Cour EEE avec le droit communautaire la CJCE arrive-t-elle à répondre de façon implicite à deux questions fondamentales : a savoir celle de la place des accords internationaux dans l'ordre juridique communautaire et celle de la définition de ses propres compétences ?
Après avoir retracé les étapes du raisonnement des juges communautaires afin d'expliciter tout le sens de cet avis (I), nous tenterons d'en évaluer la valeur et la portée en analysant les deux questions sous-jacentes auxquelles les juges ont apporté une réponse (II).
[...] La Cour s'interroge ensuite non plus sur l'accord EEE en tant que tel mais sur la Cour EEE qu'il envisage : est- elle de nature à mettre en cause l'autonomie de l'ordre juridique communautaire dans la poursuite des objectifs qui lui sont propres» ? 1 Mise en cause de l'autonomie du droit communautaire La Cour estime que l'accord EEE est de nature à mettre en cause l'autonomie de l'ordre juridique communautaire pour deux raisons : parce que la Cour EEE sera compétente pour interpréter la notion de partie contractante et parce que la jurisprudence de la Cour EEE aura des incidences sur l'interprétation du droit communautaire. [...]
[...] Après avoir rappelé au considérant 14 que l'EEE est un accord international régi par les règles du droit international général, la CJCE en tire les conséquences. Elle interprète donc l'accord EEE conformément aux exigences de l'article 31 de la convention de Vienne et en conclue que l'accord a pour objectif l'application d'un régime de libre-échange et de concurrence dans les relations économiques et commerciales entre les parties contractantes (considérant 15). Ensuite, la Cour indique que les objectifs du traité CE vont au-delà de celui poursuivi par l'accord Au considérant 16, la Cour énonce que le régime de libre –échange auquel renvoie l'accord EEE s'est développé au sein de la CE et s'insère dans l'ordre juridique communautaire Ainsi, l'objectif de l'accord EEE constituerait pour partie l'objectif de la CE, mais pour partie seulement. [...]
[...] Mais il faut noter que la position de la CJCE sur la composition de la Cour EEE n'est en rien novatrice. Dans son avis 1/76, la Cour avait posé une condition la compatibilité de la création d'un tribunal régissant les relations entre la CE et la Suisse : que les deux juridictions soient composées de juges différents. Mais l'avis 1/91 est novateur sur un point : en 1991, on l'a vu, c'est l'objectif poursuivi par une telle juridiction qui devient la condition sine que non de la compatibilité de la création d'une telle juridiction avec le droit communautaire. [...]
[...] Mais c'est surtout sur la notion de partie contractante au sens de l'accord EEE que porte le raisonnement de la Cour. Elle cite l'article 2 sous de l'accord : pour la Communauté et ses Etats membres, la notion de partie contractante (entendue au sens de l'article 117 paragraphe 1 comme compétente pour saisir la Cour EEE) sera soit la Communauté, soit les Etats membres soit les deux. Pour savoir dans quel cas se situe le litige dont elle serait saisie, la Cour EEE devrait interpréter l'article 2 sous et le confronter aux dispositions pertinentes des traités CE et CECA (considérant 33). [...]
[...] En effet, au considérant 37, la Cour ne mentionne que l'article 300 TCE (ex 228). Ansi seuls les accords internationaux conclus selon la procédure de l'article 300 TCE lient la Communauté et ses Etats membres Et seuls ces mêmes accords de l'article 300 TCE et les actes adoptés par leur organes font, à partir des leur entrée en vigueur, partie intégrante de l'ordre juridique communautaire Or, l'article 300 TCE détaille la procédure à suivre dans les cas où les dispositions du ( ) traité prévoient la conclusion d'accords entre la Communauté et un ou plusieurs Etats ou organisations internationales L'article 310 TCE constitue l'une des dispositions visées à l'article 300 TCE puisqu'il prévoit que la Communauté peut conclure avec un ou plusieurs Etats ou organisations internationales des accords créant une association caractérisée par des droits et obligations réciproques, des actions en communs et des procédures particulières L'accord EEE semble rentrer dans le champ d'application de l'article 310 TCE puisqu'il s'agit d'un accord avec une organisation internationale (l'AELE) qui se caractérise par des procédures particulières (notamment l'instauration de la Cour EEE). [...]
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