Tout système juridique doté d'un droit de la concurrence sanctionne à des degrés divers les pratiques constitutives d'une entente. Il va s'agir pour deux opérateurs économiques intervenant sur un marché donné d'exprimer librement une volonté commune de se comporter d'une manière déterminée sur ce marché en sachant quel en est l'objet ou l'effet. Cette volonté va être extériorisée par un accord ou une pratique concertée traduisant un concours de volonté et qui aura pour objet ou pour effet de restreindre le jeu de la concurrence. Ce type de comportement est réprimé en droit communautaire à l'article 81§1 du traité CE et en droit national par l'article L.420-1 du code de commerce. L'appréciation du caractère anticoncurrentiel de telles pratiques peut se révéler problématique lorsque l'on est en présence d'un marché oligopolistique en raison des caractéristiques d'un tel marché, comme le montre 'l'affaire emblématique' de la téléphonie mobile, sous l'angle de l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 29/06/2007 qui nous est donné à commenter ici.
En août 2001, le Conseil de la concurrence se saisit d'office de la situation de la concurrence dans le secteur de la téléphonie mobile. En février 2002, l'association de consommateurs UFC- Que choisir, saisit à son tour le Conseil à propos de pratiques mises en œuvre par les trois acteurs de ce marché oligopolistique: Bouygues Télécom, SFR et Orange. Ces pratiques consistaient d'une part, en un échange régulier d'informations confidentielles relatives au marché sur la période allant de 1997 à 2003, et d'autre part, sur une suspicion d'entente pendant les années 2000 à 2002 pour stabiliser leurs parts de marché respectives autour d'objectifs définis en commun.
La question la plus délicate à laquelle a été confrontée la Haute juridiction dans cette affaire a été celle de savoir si l'échange d'information sur un marché oligopolistique est en lui-même condamnable ou s'il convient d'examiner quels sont l'objet et les effets d'une telle pratique.
[...] La volonté commune doit donc tendre vers un but anticoncurrentiel ou produire un tel effet et c'est cela que le juge doit analyser de façon pragmatique et sans préjugés. REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Joint les pourvois 07-10397 formés par la société SFR, 07- formé par la société Bouygues Télécom et 07- formé par la société Orange France, qui attaquent le même arrêt ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, s'étant saisi d'office le 28 août 2001 de la situation de la concurrence dans le secteur de la téléphonie mobile et ayant été saisi le 22 février 2002 par l'association UFC-Que Choisir de pratiques d'ententes mises en oeuvre par les sociétés Bouygues Télécom (Bouygues), SFR et Orange France (Orange) sur le marché des services de téléphonie mobile, le Conseil de la concurrence (le Conseil) par décision 05-D-65 du 30 novembre 2005, dit que ces trois opérateurs ont enfreint les dispositions des articles L. [...]
[...] Certains ont été jusqu'à considérer que les autorités communautaires auraient admis qu'un échange d'informations sur un marché oligopolistique pouvait avoir des effets pro concurrentiels. Ainsi le Conseil et la Cour d'appel auraient fait une mauvaise lecture des arrêts John Deere du 28/05/1998 et de l'arrêt du TPICE Fiatagri UK Ltd et New Holland Ford Ltd du 27/10/1994 Cette cassation partielle doit en tout cas être approuvée dans la mesure où l'analyse économique de l'échange d'informations démontre au juriste que la question doit être abordée de façon pragmatique. [...]
[...] Nous nous intéresserons donc dans un premier temps à la controverse existante au sujet de l'échange d'informations sur un marché oligopolistique avant de voir que pour que la pratique soit condamnable il convient de caractériser l'objet ou l'effet anticoncurrentiel d'un tel échange d'informations. La controverse de l'échange d'informations entre acteurs d'un marché oligopolistique Il convient dans un premier temps de voir que l'approche juridique de ces échanges d'informations fait l'objet de vives critiques sur le plan de la doctrine économique avant de nous pencher sur le fait que la Cour de cassation considère que ce type d'échange n'est pas en soi condamnable sur un marché oligopolistique Une approche juridique vivement critiquée par les économistes Tout d'abord rappelons que nous sommes en présence d'un marché oligopolistique, c'est-à-dire un marché dont les acteurs économiques sont en petit nombre. [...]
[...] Ces économistes ont pu reprocher au Conseil d'appliquer de façon automatique la jurisprudence John Deere de la CJCE du 28/05/1998, qui condamne per se les échanges d'informations sur un marché fortement concentré et lorsque les informations sont précises et interviennent selon des périodicités rapprochées. (On citera notamment un article de Levêque qui critique la façon dont les autorités de concurrence élaborent leurs tests afin de déterminer si la pratique est pro ou anticoncurrentielle, Échange d'informations: faut-il bâillonner tous les oligopoles? La jurisprudence John Deere vue par un économiste). La Cour de cassation va quant à elle se montrer plus exigeante vis-à-vis de la façon dont on va qualifier l'échange d'informations comme étant anticoncurrentielle. [...]
[...] La question la plus délicate à laquelle a été confrontée la Haute juridiction dans cette affaire a été celle de savoir si l'échange d'information sur un marché oligopolistique est en lui-même condamnable ou s'il convient d'examiner quels sont l'objet et les effets d'une telle pratique. La Cour de cassation censure ainsi partiellement l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, sous le visa des articles L.420-1 du code de commerce et 81 du Traité CE et considère que les juges d'appel n'ont pas justifié légalement leur décision en s'abstenant de rechercher de façon concrète si l'échange d'informations a eu un effet ou un objet anticoncurrentiel. [...]
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