Le Conseil de la concurrence est une autorité administrative indépendante dont le but est de condamner les pratiques anticoncurrentielles. Certaines sociétés se livrent à ces pratiques en passant des accords entre elles dont elles ont logiquement tendance à ne conserver aucune trace. La preuve de tels agissements peut alors être très difficile à rapporter, et peut inciter à utiliser des moyens de preuve déloyaux. C'est l'objet d'un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, rendu le 3 juin 2008.
Des sociétés ont mis en place une entente relative à l'application de prix public conseillés, sur des produits d'électronique. Une autre société, jugeant ces pratiques anticoncurrentielles, saisi le Conseil de la concurrence. Le Conseil accueil la société requérante, dans une décision du 5 décembre 2005, et condamne ainsi les sociétés défenderesses à des sanctions pécuniaires. Les sociétés défenderesses interjettent appel. La Cour d'appel de Paris, dans une décision du 19 juin 2007, confirme la décision de première instance. La Cour d'appel a ainsi admis comme preuve des enregistrements de communications téléphonique obtenus à l'insu de l'auteur des propos tenus. Elle justifie sa décision en retenant qu'aucun texte ne réglemente la production de preuve devant le Conseil, que la mission de protection de l'ordre public dont il est investi, le fait que ces enregistrements soient produits par une des parties et aient été soumis à contradiction les rendent recevables comme preuve, bien qu'obtenus de façon déloyale. Les sociétés forment un pourvoi en cassation. Un enregistrement obtenu de façon déloyale peut-il être recevable à titre de preuve devant le Conseil de la concurrence?
La Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel de Paris. Elle retient, au visa de l'article 6, paragraphe premier, de la Convention européenne des droits de l'homme, que l'enregistrement d'une communication téléphonique par une des parties et à l'insu de l'auteur des propos tenus est un procédé déloyal, rendant la preuve irrecevable. Par cette décision, la Cour de cassation opère une restriction de la liberté de la preuve (I) dont l'application est discutable (II).
[...] En effet, la Convention, notamment dans son arrêt Schenk contre Suisse, avait donné une conception globale de la notion de procès équitable. Cette conception, reposant davantage sur l'égalité des armes, rendait possible la présentation d'une preuve obtenue par un procédé déloyal à condition que le juge opère un rééquilibrage. N'était-ce pas ce qu'avait fait la Cour d'appel, en acceptant les enregistrements, mais en les soumettant au débat contradictoire? [...]
[...] Un enregistrement obtenu de façon déloyale peut-il être recevable à titre de preuve devant le Conseil de la concurrence? La Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel de Paris. Elle retient, au visa de l'article paragraphe premier, de la Convention européenne des droits de l'homme que l'enregistrement d'une communication téléphonique par une des parties et à l'insu de l'auteur des propos tenus est un procédé déloyal, rendant la preuve irrecevable. Par cette décision, la Cour de cassation opère une restriction de la liberté de la preuve dont l'application est discutable (II). [...]
[...] Elle avait transposé la jurisprudence pénale qui distingue les preuves recherchées par les enquêteurs et celles produites par les parties. En matière pénale, le principe de loyauté des preuves s'applique pleinement aux premières tandis que les secondes ne sont pas irrecevables, mais les juges doivent apprécier leur valeur probante. La Chambre commerciale censure donc la décision de la Cour d'appel. Elle se fonde sur l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et rattache ainsi la loyauté de la preuve à la notion de procès équitable. [...]
[...] C'est dans cette logique que la Cour de cassation juge déloyal l'enregistrement d'une personne à son insu. Prouver consiste à rechercher la vérité. Toutefois, cette vérité de doit pas être recherchée au dépend des droits de l'individu. En l'espèce, l'enregistrement réalisé par la partie requérante porte atteinte aux droits fondamentaux de l'autre partie, puisque réalisé à son insu. Dans cet arrêt, la Cour de cassation tranche aussi la question de savoir si une preuve obtenue par un procédé déloyal est recevable devant le Conseil de la concurrence. [...]
[...] Est-il vraiment réaliste de penser que sa décision n'en sera pas influencée? L'interdiction que consacre cet arrêt peut avoir comme conséquence dans bien des cas d'interdire de faire la preuve de faits bien réels. De plus, il y a des faits qui ne peuvent être prouvés loyalement. En l'espèce, les sociétés ayant passé un accord sur l'application de certains prix n'en ont pas forcément gardé la trace écrite. Dans cet arrêt, la Cour de cassation dépasse la position de la Convention européenne des droits de l'homme. [...]
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