Il est des principes tellement ancrés dans la structure de nos systèmes juridiques qu'ils paraissent immuables. Tel est le cas du principe de non-cumul des responsabilités, qui fait figure de principe fondamental du droit français de la responsabilité civile, car il s'appuie sur la summa divisio entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle.
Ainsi, chaque fois qu'un contractant subit un dommage en raison de l'inexécution par l'autre partie d'une obligation née du contrat, il devra engager la responsabilité contractuelle de son co-contractant. A l'inverse, dans tous les autres cas, la victime d'un dommage ne résultant pas d'une inexécution contractuelle devra engager la responsabilité délictuelle de l'auteur du dommage.
Le principe du non-cumul des responsabilités s'appuie sur cette dualité puisqu'il impose à toute victime de fonder sa demande de réparation sur l'un ou l'autre des ordres de responsabilités, contractuel ou délictuel, sans pouvoir cumuler ces fondements. Ce choix n'est d'ailleurs pas libre, car la victime doit non seulement choisir, mais encore bien choisir. Ainsi, à chaque situation préjudiciable correspond un ordre de responsabilité applicable. Le locataire qui chute dans les escaliers de l'immeuble qu'il loue devra agir contre son propriétaire sur le fondement contractuel. A l'inverse, la même chute, dans les mêmes escaliers, sera indemnisée sur le fondement délictuel si c'est un simple visiteur qui en est la victime. En somme, selon la situation dans laquelle elle se trouve, la victime sera tenue de choisir le bon fondement de responsabilité. A défaut, sa demande pourra être déclarée irrecevable.
[...] Or, un certain nombre d'entre eux proposent un abandon partiel, ou du moins un assouplissement, du principe du non-cumul, preuve que ce principe, aussi prégnant soit-il, n'est pas pour autant incontesté. Ce contexte nous invitera donc à nous interroger sur l'ambiguïté qui entoure le principe du non-cumul des responsabilités. Qu'est devenu ce principe au fil du temps ? Ses implications sont-elles toujours les mêmes ? Ses justifications sont-elles toujours présentes ? A-t-il encore aujourd'hui une raison d'être, et dans quelle mesure ? [...]
[...] En d'autres termes, on ne peut bénéficier simultanément de règles propres aux deux régimes de responsabilité. En troisième lieu, le non-cumul implique pour la victime une absence de liberté de choix, une absence d'option. Ainsi, si le dommage résulte d'une inexécution contractuelle, la victime ne peut préférer agir sur le fondement délictuel, quand bien même ce fondement lui permettrait d'obtenir une meilleure réparation. De même, elle ne peut exercer l'action en responsabilité délictuelle lorsque l'action en responsabilité contractuelle lui est fermée. [...]
[...] A cet égard, il est remarquable de constater que le principe du non-cumul des responsabilités se présente très largement comme une spécificité du droit français, ignorée de la plupart des systèmes juridiques voisins. En effet, dans les systèmes de Common Law, tout comme dans les droits allemand ou suisse, les victimes ont la possibilité de se placer sur le terrain qui leur est le plus favorable. Or, si la règle du non-cumul n'y est pas utile, c'est précisément parce que le droit de la responsabilité, dans ces systèmes, n'est pas construit sur l'opposition théorique entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle, mais bien davantage sur les différents intérêts que le législateur accepte de protéger. [...]
[...] Si le principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle est aujourd'hui très solidement ancré dans le droit français, c'est parce qu'il a été très tôt consacré par la jurisprudence, dès le début du XXe siècle, avec l'appui d'une très large majorité de la doctrine. Pour autant, sa place et son rôle dans le droit de la responsabilité ne sont peut-être pas aussi immuables qu'il y paraît ; des voix s'élèvent de plus en plus pour dénoncer les méfaits de ce principe, voire, parfois, pour militer pour son abandon. [...]
[...] civ.) ; délais de prescription spécifiques en matière contractuelle, jusqu'à la réforme du 17 juin 2008. Dans le prolongement de ces réflexions, un auteur a suggéré que la règle du non-cumul résulte en réalité de la reconnaissance d'une responsabilité sans faute sur le terrain délictuel, sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er. La généralisation de la responsabilité sans faute, du fait des choses ou du fait d'autrui, aurait pour conséquence de ruiner l'allocation des risques voulue par la loi ou par les parties, si elle pouvait s'appliquer entre les parties à un contrat (en ce sens, J.-S. [...]
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