Au lendemain du 28 mars 2000, l'affirmation par la première Chambre civile de la Cour de cassation que « l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf motif légitime de ne pas y procéder » avait fait grand bruit. Que l'on approuvât ou condamnât la solution, l'on s'accordait au moins à reconnaître qu'elle bousculait, au nom de la vérité biologique, les règles relatives à l'administration de la preuve. Mais, au vu d'une décision de cette même chambre, en date du 24 sept. 2002, l'on est en droit de se demander si elle ne s'est pas prise à regretter l'audace du principe énoncé deux ans plus tôt.
En l'espèce, une mère avait intenté, au nom de sa fille mineure, une action tendant à faire déclarer la paternité naturelle de son concubin, incarcéré pendant la grossesse et décédé quatorze mois après la naissance. La fille légitime de celui-ci avait alors sollicité une expertise biologique, sans que la demanderesse s'y opposât. Mais la cour d'appel (CA Aix-en-Provence, 7 mars 2000) accueillit l'action sans faire droit à cette requête. Elle avait en effet estimé que, la démonstration de la paternité naturelle ayant été suffisamment faite par des présomptions et indices graves, l'expertise biologique était superfétatoire. Ce raisonnement est entériné le 24 sept. 2002 par la Cour de cassation, laquelle estime que le « motif légitime » de ne pas ordonner l'expertise sollicitée a ainsi été caractérisé.
Des deux volets de la solution proposée le 24 sept. 2002, l'un consacre une hypothèse attendue du motif légitime, l'autre, une application de cette hypothèse, beaucoup plus surprenante. La Cour considère, en effet, que le caractère superfétatoire de l'expertise sollicitée constitue un « motif légitime » de ne pas y procéder (I). Elle estime, par ailleurs, que ce caractère superfétatoire peut résulter de la suffisance des présomptions et indices de la paternité (II).
[...] Mais, contrairement à ce que pouvait laisser penser sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation n'estime pas ici nécessaire qu'il s'agisse d'une autre expertise biologique. Le caractère superfétatoire de la mesure supposerait simplement qu'existe déjà une preuve suffisante pour former la conviction du juge, quelle qu'en soit la nature. II - La suffisance des présomptions et indices de la paternité rend l'expertise superfétatoire L'existence de présomptions et indices suffisants de la paternité permettrait de considérer comme superfétatoire l'expertise sollicitée par le défendeur à l'action en recherche de paternité. [...]
[...] Et même s'il ne fallait voir sous la consécration d'un droit subjectif du plaideur qu'une simple obligation de motiver les refus d'expertise, destinée à dissiper le soupçon d'arbitraire nimbant ce type de décision, le but semble manqué. Car la décision rendue le 24 sept est de nature à faire maintenant porter ce soupçon sur la Juridiction suprême. En tout état de cause, l'affirmation que l'expertise biologique est de droit en matière de filiation aura peut-être fait, comme dirait le poète anglais, beaucoup de bruit pour rien Bibliographie C. ATIAS, Les paradoxes du réalisme biologique en matière de filiation D. [...]
[...] Il suffit, comme l'exige l'art c. civ., que les présomptions retenues par le juge soient graves, précises et concordantes. Mais la conséquence que l'on en tire ici, s'agissant de l'utilité de procéder à l'expertise sollicitée en défense, suscite un réel embarras. Elle appelle la critique tant sur le plan de la preuve que sur celui du fond du droit. D'abord, l'appréciation faite ici du caractère superfétatoire de l'examen biologique fait fi des critères que la Cour de cassation utilisait jusqu'à présent de manière fort heureuse : la preuve par présomption et indices n'a pas, que l'on sache, le caractère d'une méthode médicale certaine ; et il y surtout, une chance non négligeable que l'expertise conduise à un résultat différent lorsque, comme en l'espèce, la preuve préexistante tient essentiellement à la notoriété du concubinage et à la conviction de sa paternité qu'avait, de son vivant, le père prétendu. [...]
[...] Il est admis à cet égard que l'obligation pour le juge d'ordonner la mesure constitue le corollaire du droit reconnu au fond (faire établir ou contester la filiation), dont il permet d'assurer l'effectivité (14). En l'état actuel des techniques médicales, en effet, le résultat d'une expertise biologique (analyse sanguine ou génétique) constitue une preuve a priori décisive. Mais ce fondement du droit à l'expertise impose de considérer qu'il disparaît chaque fois que le droit reconnu au fond n'est plus compromis par le refus du juge. [...]
[...] La fille légitime de celui-ci avait alors sollicité une expertise biologique, sans que la demanderesse s'y opposa. Mais la cour d'appel (CA Aix-en-Provence mars 2000) accueillit l'action sans faire droit à cette requête. Elle avait en effet estimé que, la démonstration de la paternité naturelle ayant été suffisamment faite par des présomptions et indices graves, l'expertise biologique était superfétatoire. Ce raisonnement est entériné le 24 sept par la Cour de cassation, laquelle estime que le motif légitime de ne pas ordonner l'expertise sollicitée a ainsi été caractérisé. [...]
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