Les textes français sur l'établissement du lien de filiation naturelle maternelle pourraient bien faire encourir à notre pays une nouvelle condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme tant ils paraissent en contradiction avec la jurisprudence de celle-ci. En attendant une éventuelle intervention du législateur pour modifier le code civil, les tribunaux français ont la faculté d'éviter un tel péril en se fondant sur l'art. 55 de la Constitution pour écarter la loi en vigueur et faire prévaloir la norme européenne. C'est dans cette voie courageuse que s'était engagé un jugement du Tribunal de grande instance de Brive, salué par une doctrine quasi unanime. Se référant directement au célèbre arrêt Marckx c/ Belgique du 13 juin 1979, la juridiction briviste avait déclaré inapplicable l'art. 334-8 c. civ. Dans l'arrêt à commenter, où se posait un problème semblable, la Cour d'appel de Paris fait un choix diamétralement opposé en jugeant le droit interne conforme à la Convention européenne des droits de l'homme.
Il s'agissait d'une action déclaratoire de nationalité intentée par un ressortissant gabonais qui, arguant de sa filiation maternelle française, voulait bénéficier de l'art. 18 c. civ. aux termes duquel « est français l'enfant, légitime ou naturel, dont l'un des parents au moins est français ». La règle de conflit lui imposait d'apporter la preuve de sa filiation maternelle conformément aux dispositions de la loi française. Or l'intéressé produisait un acte de naissance mentionnant seulement le nom de sa mère. En vertu de l'art. 334-8 c. civ., faute de reconnaissance ou de possession d'état, il était dans l'impossibilité d'établir sa filiation maternelle et, partant, d'obtenir la nationalité française. Le requérant considérait que ce texte, imposant à la mère naturelle, outre la mention de son nom dans l'acte de naissance, une reconnaissance ou une possession d'état, était contraire à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. L'argument est écarté par la Cour d'appel de Paris au motif que « la règle de l'art. 334-8 c. civ. ne porte pas atteinte au principe d'interdiction de discrimination entre les personnes fondée sur la naissance et le mode d'établissement des filiations, dès lors que la législation française donne effet à l'acte de naissance de l'enfant naturel lorsqu'il est corroboré par la possession d'état ». Les magistrats parisiens estiment donc que, grâce à l'art. 337 c. civ., aucun risque de condamnation internationale de la France n'est à redouter. Une telle position semble regrettable car elle méconnaît les solutions du droit européen relatives à l'établissement de la filiation naturelle maternelle (I) et refuse d'accorder une autorité interprétative aux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (II).
[...] Les modes d'établissement de la filiation maternelle de l'enfant naturel sont-ils compatibles avec la Convention européenne des Droits de l'Homme ? Les textes français sur l'établissement du lien de filiation naturelle maternelle pourraient bien faire encourir à notre pays une nouvelle condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme tant ils paraissent en contradiction avec la jurisprudence de celle-ci. En attendant une éventuelle intervention du législateur pour modifier le code civil, les tribunaux français ont la faculté d'éviter un tel péril en se fondant sur l'art de la Constitution pour écarter la loi en vigueur et faire prévaloir la norme européenne. [...]
[...] Toutefois, lors de l'établissement du lien de filiation maternelle, la situation des enfants naturels paraît moins favorable que celle des enfants légitimes. Les art et 320 c. civ. organisent deux modes de preuve de la filiation légitime : le titre, c'est-à-dire l'acte de naissance, ou la possession d'état. Les enfants naturels se trouvent-ils dans une position identique relativement à l'une et à l'autre de ces possibilités ? Pendant longtemps, on s'est demandé si la filiation naturelle pouvait être légalement établie par la possession d'état. [...]
[...] paraissait refuser un tel rôle à la possession d'état et était donc en opposition avec les conceptions européennes. Or, après l'affaire Law-King, la loi du 25 juin 1982 a fait de la possession d'état un des modes d'établissement de la filiation naturelle. Une égalité semble ainsi instaurée entre enfants légitimes et naturels qui veulent établir leur lien de filiation en utilisant la possession d'état. La seule différence qui subsiste en la matière paraît irrémédiable car elle découle de la nature même des deux filiations : la filiation légitime étant indivisible, l'enfant légitime devra prouver une possession d'état indivisible vis-à-vis de son père et de sa mère ; la filiation naturelle étant, quant à elle, divisible, l'enfant naturel devra établir séparément une possession d'état à l'égard de son père et une à l'égard de sa mère. [...]
[...] Ils seront approuvés dans leur choix par ceux qui s'inquiètent de voir l'autorité judiciaire exploiter les ressources d'un traité pour éluder la loi nationale : le juge commettrait là une usurpation de pouvoir en empiétant sur les prérogatives du parlementaire. Toutefois, le Conseil constitutionnel s'étant déclaré incompétent pour veiller au respect législatif des obligations internationales souscrites par la France, le contrôle des tribunaux semble le bienvenu car, à défaut, l'art de la Constitution sur la supériorité des traités aurait un rôle purement décoratif. [...]
[...] Pourquoi alors ne pas devancer tout risque de condamnation en évinçant spontanément les textes nationaux contraires à la Convention européenne, et prendre ainsi en considération l'autorité interprétative de la jurisprudence européenne ? La Cour européenne des droits de l'homme y est très favorable : dans son arrêt Modinos Chypre, elle affiche clairement son intention de condamner tout Etat qui laisse subsister dans son droit interne des dispositions législatives identiques à celles ayant valu, à un autre Etat partie, un constat de violation de la Convention. [...]
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