Bien que préparée depuis plus de dix ans, la réforme de la protection des majeurs, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2009, aura dû attendre la fin de la XIIe législature pour être adoptée en urgence. Sans doute, une solide préparation reposant sur le travail d'importants groupes d'étude et force rapports, a-t-elle permis d'élaborer un texte remédiant dans l'ensemble aux dysfonctionnements antérieurs. Il n'en reste pas moins que la naissance précipitée de cette digne fille de la loi du 3 janvier 1968 l'a dotée de forts mauvais caractères. A commencer par la forme. Le titre de la loi est tronqué et laisse entendre que la réforme ne concerne que les majeurs, alors que des dispositions relatives à la tutelle des mineurs sont aussi modifiées, spécialement celles sur l'organisation de la tutelle, la composition et le rôle du conseil de famille. A l'inverse, aucune réflexion n'a été entreprise sur la notion de pré-majorité et le mineur reste donc en principe incapable. La recodification entreprise laisse aussi pensif. Le législateur a repris, au sein du code civil, certaines des dispositions qui figuraient dans le nouveau code de procédure civile ou dans le code de l'action sociale et des familles. Pour faire leur entrée dans le code civil, les règles de procédure se colorent de droits fondamentaux et la tutelle aux prestations sociales change de visage. Cette privatisation est censée traduire l'idée que la protection doit respecter les droits et libertés fondamentaux de la personne. Pourtant, les mesures de protection oscillent toujours entre le droit privé et le droit public. En effet, le code civil ouvre plusieurs fenêtres sur le code de l'action sociale et des familles (art. 419, 450, 451, 454, 459-1, 479, 480, 495, 495-2, 495-6 c. civ.) et sur le code de la santé publique (art. 434, 459-1, 479 c. civ.), laissant ainsi entrer des courants d'air qui seront difficiles à juguler. Le législateur a, par ailleurs, repris l'ensemble de la numérotation des dispositions du code civil relatives aux majeurs et aux mineurs et a entrepris d'éviter le renvoi de la tutelle des majeurs à celle des mineurs. Mais cette modification est loin de traduire une rupture, puisqu'un titre spécial, le titre XII, traite désormais de la gestion du patrimoine des mineurs et des majeurs en tutelle. L'unité de traitement entre mineurs et majeurs n'est donc pas brisée, occultant ainsi une réflexion fondamentale sur la notion d'incapacité. Pour en terminer avec la forme, un regard sur les mots de la loi est également édifiant. Les mots se veulent dignes et respectueux. Les textes antérieurs avaient déjà définitivement relégué aux siècles passés les déments, les fous, les internés, les aliénés, les débiles mentaux, les déficients, les gâteux, les séniles. De son côté, la loi de 1968 avait fait disparaître du vocabulaire juridique l'aliénation mentale au profit de l'altération des facultés mentales, et mis en avant le majeur protégé. La loi de 2007 s'inscrit dans cette droite ligne et dissimule le nom commun « incapable », jugé désuet et humiliant, sous le voile pudique de « personne protégée » ou de mineur et de majeur en tutelle ou curatelle (art. 60, 249-2, 1304, 1399, 2410 c. civ.). On regrettera cependant qu'ait été oublié l'incapable du droit des sociétés ou de l'indivision (art. 1844-16, 1873-7, 1873-8 c. civ.). Ces retouches ne font pas pour autant disparaître complètement le terme du code civil. Tout d'abord, parce qu'il est parfois difficile à remplacer, notamment quand il est utilisé comme adjectif : ainsi, en matière contractuelle, on retrouve la personne déclarée incapable de contracter (art. 1123 et 1124, 1925, c. civ.). Ensuite et surtout, parce que les deux expressions de majeur protégé et d'incapable ne sont pas synonymes. Le majeur protégé peut en effet être capable, notamment lorsqu'il est sous sauvegarde de justice, et l'incapable peut ne pas être un mineur ou un majeur protégé, car il existe des incapacités spéciales (art. 902, 907, 909, 911, 1043, 1970 c. civ.). On en vient à se demander en définitive si la loi n'a pas manqué là une occasion de définir la notion d'incapacité. C'est alors le fond de la loi qui est en cause. L'esprit de la loi nouvelle est de protéger le majeur en diminuant le moins sa capacité et de restaurer la place de la famille parallèlement à celle de l'Etat. Sont ici en cause deux concepts fondamentaux : l'incapacité et la solidarité, sur lesquels manque une réflexion fondamentale.
A propos de l'incapacité, la question est de savoir si l'on peut protéger sans rendre incapable. Avec la sauvegarde de justice, la tutelle ou la curatelle atténuée, le législateur l'avait quelque peu admis en 1968. Avec la loi nouvelle, le législateur a, au nom de la dignité de la personne, mis l'accent sur la volonté individuelle, même en cas de tutelle ou de curatelle. La philosophie de la protection évolue : il s'agit de protéger sans aliéner, car toute restriction de la capacité est perçue comme une diminution de la personnalité « dont la plénitude est en soi une liberté civile ». Si l'on ne peut qu'adhérer à cette philosophie, il est aussi aisé d'en percevoir les limites, précisément lorsque la seule façon de protéger est l'incapacité. Si le législateur n'a pas fait cas de ces critiques pourtant bien connues, c'est qu'il entendait mettre en avant cette philosophie pour la conception qu'elle livre de la personne : une conception individualiste dans laquelle la personne est perçue comme la projection de sa propre volonté. C'est bien l'air que l'on entend lorsqu'on lit : « la protection des majeurs est instaurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne » ; elle a « pour finalité l'intérêt de la personne protégée » et elle « favorise, dans la mesure du possible, l'autonomie de celle-ci » (art. 415, al. 2 c. civ.). Restera à vérifier si les instruments d'une protection efficace peuvent s'accorder sur ce grand air.
Quant à la solidarité, la loi a cherché à la faire familiale, en reconnaissant par là même le nouveau visage des familles modernes. Ce faisant, le législateur n'a pas pu aller au bout de sa logique, car il s'est trouvé confronté à une autre conception de la solidarité, nationale celle-ci, qui a sous-tendu la plupart des réformes récentes sur le handicap et dont la loi de 2007 se fait aussi le reflet. En définitive, il ressort de ces premiers constats que ni la protection de la personne, ni la solidarité mise en oeuvre ne correspondent à ce qui était attendu.
[...] Ce faisant, la loi introduit dans le dispositif un certain nombre de grains de sable qui pourraient bloquer le mécanisme. Tout d'abord, le principe de nécessité, expressément affirmé (art c. civ.) est renforcé par l'obligation d'accompagner toute demande de protection ? y compris le renouvellement, d'un certificat médical circonstancié (art c. civ. autant que par le caractère temporaire des mesures de protection. La sauvegarde ne peut ainsi dépasser un an (439 c. civ.), tandis que la curatelle et la tutelle sont limitées à cinq ans (441 c. [...]
[...] Ce n'est que lorsque le majeur ne peut prendre de décision éclairée qu'il pourra être assisté ou représenté (art al c. civ.). De surcroît, certaines incapacités de jouissance sont levées. Le majeur sous tutelle peut conserver son droit de vote si le juge le décide (art code élect.). Le majeur sous curatelle peut conclure un pacte civil de solidarité avec l'assistance de son curateur (art c. civ.), tandis que l'assistance du tuteur et l'autorisation du juge ou du conseil de famille seront requises pour la signature d'un tel contrat par le majeur sous tutelle (art c. [...]
[...] La loi a perdu ici l'occasion de mieux préciser les pouvoirs du tuteur et de porter remède à l'inadaptation de certaines mesures dites de protection en matière de santé. En matière patrimoniale, plusieurs défauts sont flagrants. Les pouvoirs du tuteur sont fixés de manière trop rigide. En effet, si cet ancien bon père de famille se modernise en dispensant des soins prudents, diligents et avisés, il continue de voir ses pouvoirs encadrés par trois catégories d'actes. Ceux qu'il peut faire seul : les actes conservatoires et les actes d'administration nécessaires à la gestion du patrimoine (art c. [...]
[...] Reste à remarquer en tout dernier lieu, que si les mesures de protection s'ouvrent pour les mêmes causes qu'auparavant, c'est-à-dire l'altération médicalement constatée des facultés mentales ou des facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de la volonté (art c. civ.), il n'est plus fait référence aux trois causes possibles d'altération des facultés mentales qu'étaient la maladie, l'âge ou l'infirmité. C'est dire, qu'en réalité, la loi élargit la notion d'altération mentale à d'autres causes indéterminées et laissées à l'appréciation du magistrat. Il s'agirait en effet, selon les travaux préparatoires, d'étendre les mesures de protection à la dépression ou au stress post traumatique qui ne sont pas toujours considérés comme des maladies, mais qui altèrent le discernement. [...]
[...] En effet, le code civil ouvre plusieurs fenêtres sur le code de l'action sociale et des familles (art 459- 495-2, 495-6 c. civ.) et sur le code de la santé publique (art 459- c. civ.), laissant ainsi entrer des courants d'air qui seront difficiles à juguler. Le législateur par ailleurs, repris l'ensemble de la numérotation des dispositions du code civil relatives aux majeurs et aux mineurs et a entrepris d'éviter le renvoi de la tutelle des majeurs à celle des mineurs. [...]
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