Il y a quarante ans que le droit personnel de la famille est entré dans un mouvement qu'on a pu croire pendant un temps être de simple modernisation mais qui se révèle progressivement être beaucoup plus profond et relever plutôt d'un bouleversement, peut-être même d'une véritable refondation. Très provisoirement apaisée par une vague de réformes qui paraissaient pourtant d'une ampleur peu commune, la matière a continué de bouillonner et se trouve aujourd'hui confrontée à ce qui est peut-être une véritable lame de fond, comparable avec plusieurs décennies de décalage, aux mutations politiques qui ont accompagné l'éclosion des sociétés démocratiques.
La France a connu pendant de nombreux siècles, une structure sociale immobile fondée sur la hiérarchie et la naissance. La structure familiale, avec le même immobilisme, a reflété cette organisation hiérarchique où l'influence de la naissance prédominait : du « pater familias » antique au « chef de famille » du Code Civil, il n'y a guère de nuances. Que se soit sous l'empire du droit canonique ou, après le bref défoulement de la période intermédiaire, sous l'influence militariste de Napoléon Bonaparte, le droit organisait la famille un peu sur la même philosophie qu ‘une unité militaire : cohésion du groupe primant les intérêts personnels, d'où une structure hiérarchique, avec un chef doté d'une puissante autorité. Cette puissante autorité ne laissait que peu de place aux autres membres de la famille et notamment à la femme. Celle-ci se cantonnait au rôle de composante d'une structure hiérarchique familiale régie par le chef de famille. Cette autorité du père de famille se traduisait à travers une institution juridique : le mariage. C'est dans le cadre du mariage que le pater familias disposait de toute sa puissance sur le reste de la famille. Cette puissance masculine primait sur les intérêts de l'épouse et celle-ci fut bien mal lotie étant même parfois considérée comme un majeur incapable ; une évolution latente du droit de la famille est venue bouleverser les données et a permis une émancipation de la femme, de ses droits et de ses devoirs au détriment parfois de ceux du chef de famille ; cette évolution a eu lieu dans bon nombre de domaines, notamment, dans le domaine du mariage et de ses effets ainsi que dans celui des régimes matrimoniaux. D'un statut inégalitaire de l'épouse, on tend vers un statut égalitaire. Mais cette une longue évolution qui aboutira à une égalité homme-femme « matrimoniale ». L'égalité de la femme vis-à-vis du chef de famille s'est acquise par de profondes réformes en droit de la famille. L'émergence de ce principe d'égalité des époux a été lent. En effet, l'inégalité des époux avait une double racine : d'une part l'idée de faiblesse de la femme, qui devait donc être protégée, exprimée par l'expression latine « imbecilias sexus », et d'autre part le souci d'unité dans la direction du foyer.
Le code civil de 1804 a été foncièrement inégalitaire vis-à-vis des époux. Ce n'est seulement par la loi du 18 février 1938 que la femme mariée verra son incapacité juridique supprimée, de même que le devoir d'obéissance et la puissance maritale. La loi du 22 septembre 1942 complétera cette réforme en instaurant un système qui associait la femme à la direction de la famille. Puis il y a eu la loi du 13 juillet 1965 réformant les régimes matrimoniaux, l'épouse fut alors autorisée à ouvrir librement un compte en banque, et n'eut plus besoin de demander l'autorisation maritale pour exercer une profession. Mais la loi demeurait encore assez asymétrique sur d'autres points comme la contribution aux charges du mariage par exemple. Le « chef de famille » disparaîtra par l'effet de la loi du 4 juin 1970 relative à l'autorité parentale et la loi du 11 juillet 1975 supprimera les séquelles inégalitaires concernant le choix du domicile familial et la contribution aux charges du mariage. C'est enfin seulement par la loi du 23 décembre 1985 réformant encore une fois les régimes matrimoniaux que les époux deviendront véritablement égaux au regard de la loi. Le droit des relations tant personnelles que pécuniaires entre les époux devient totalement identiques pour les deux membres du couple. Mais si l'égalité est largement consacrée, il faut cependant nuancer ce tableau, en effet, égalité ne signifie pas forcément indépendance. Une parfaite égalité juridique peut s'avérer fort préjudiciable à la femme. Dès lors, qu'en est-il de l'indépendance des époux au sein du mariage ? Or si les époux aujourd'hui sont à égalité et bénéficient des mêmes pouvoirs ou des présomptions similaires, qu'en est-il de leur droit à l'indépendance dans une société où les conjoints ont chacun une activité professionnelle ? En effet, peut-on parler d'une indépendance professionnelle des époux et cette indépendance est-elle alors synonyme de liberté et d'autonomie ?
En étudiant le thème de l'indépendance professionnelle des époux, il faut en premier lieu se placer dans le contexte juridique du mariage. C'est des époux dont il est question et non de concubins ou autre forme de cohabitation telle que le PACS par exemple. Les époux sont donc mariés et soumis de plein droit aux règles d'ordre public (également considérées comme le régime primaire pour certains auteurs) situées aux articles 212 et suivant du code et ce, peu importe le régime matrimonial choisi (art. 226 du Code Civil). En second lieu, il est question de la profession exercée par les époux, celle-ci peut être différenciée ou commune aux deux époux. Une profession est entendue comme toute activité salariée, l'exercice d'une profession suppose donc le gain d'un salaire. Et en dernier lieu, on aborde l'indépendance des époux dans ce domaine, c'est-à-dire un exercice indépendant, des effets juridiques indépendants et peut être une certaine indépendance matérielle. Malgré tout, l'étude de cette indépendance suppose pour être complète d'en étudier les limites. En effet, cette affirmation de l'indépendance professionnelle, cette existence de l'indépendance professionnelle n'est pas forcément totale et acquise en tout point.
Ainsi, ce sujet suppose la mise en exergue de différents points. En effet, l'indépendance professionnelle, règle d'ordre public définie à l'article 223 du code civil, permet-elle un exercice indépendant ou un exercice conjoint de l'activité professionnelle ? De plus, cet exercice de l'activité professionnelle est-il compatible avec les règles de gestion des époux sur le patrimoine conjugal ? Y a-t-il une certaine mise en péril du patrimoine commun des époux face aux créanciers professionnels de ceux-ci, de même peut-on parler de patrimoine professionnel indépendant pour chacun des époux ou y a-t-il une mise en commun des gains et salaires des époux ? Ce système de patrimoine commun souffre-t-il de limites ou d'exceptions et enfin est-ce que cette indépendance professionnelle et ses conséquences s'inscrivent dans une optique protectrices des intérêts du couple et ce sans entacher cette notion d'indépendance professionnelle ?
Ainsi, dans une première partie, nous étudierons l'indépendance professionnelle des époux quant à l'exercice de l'activité professionnelle (I) et dans une seconde partie, nous analyserons les limites apportées à cette indépendance professionnelle par l'exercice d'une activité commune et les conséquences de cette indépendance professionnelle au sein du patrimoine familial (II).
[...] Le mari pouvait en disposer librement, même dans un intérêt personnel, par exemple par voie de donation entre vifs. S'il s'achetait des biens avec les gains et salaires de sa femme, ils devenaient communs et dépendaient de sa gestion exclusive. Le point d'aboutissement de cette évolution résulte de la loi du 13 juillet 1965 qui donna toute latitude à la femme. Et c'est pourquoi l'article 223 du code civil dispose que : la femme a le droit d'exercer une profession sans le consentement de son mari La loi du 23 décembre 1985 parachève cette égalité en posant le principe du libre exercice d'une profession par chacun des époux. [...]
[...] Cette solution est jugée douteuse par certains auteurs comme Terré et Smiler. Cependant, il est rare que l'exercice d'une profession constitue un manquement grave aux devoirs du mariage, les exemples donnés en la matière frisent l'hypothèse d'école : cas du conjoint partant en mission scientifique aux antipodes ou femme d'un préfet voulant ouvrir un sex-shop par exemple. De même, il n'est pas sûr que le juge sera en mesure d'interdire une liberté aussi essentielle que celle de travailler. C'est pourquoi l'application de cet article à ce but ne semble guère être fréquente, sachant de plus que ces mesures ont un caractère temporaire qui risque de rendre cet article insuffisant en la matière. [...]
[...] Cependant, une méfiance existe à l'égard des sociétés créées de fait entre époux lorsque les conditions en sont réunies. De plus, il est à noter que lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation des biens, la rémunération de l'époux est constitutive d'une indemnité fondée sur l'enrichissement sans cause si la participation de celui-ci à la marche de l'entreprise dépasse la simple contribution aux charges du mariage (existe aussi la créance dite de salaire différé loi de 1989). [...]
[...] De même les règles du marshaling issues de la Common Law, entraînent une affectation prioritaire de certains biens lors du règlement des dettes de même nature, et pourraient par conséquent permettre à l'époux in bonis de sauvegarder une fraction du patrimoine familial en cas de crise. Ces éléments de réforme tirés du droit positif américain opèrent une division des risques dans la nouvelle communauté légale. Ainsi, la division des risques dans l'organisation des pouvoirs de gestion des époux est la rançon de la consolidation de l'indépendance professionnelle des époux et aussi de la protection du patrimoine familial des époux. [...]
[...] Dans ces cas présents, l'indépendance professionnelle des époux est-elle encore de mise ? La licéité du contrat de travail entre époux reconnue par la loi du 10 juillet 1982 relative aux conjoints d'artisans ou de commerçants travaillant dans l'entreprise familiale, permet de préserver cette indépendance professionnelle car d'une part la liberté de choix semble existée et d'autre part on retrouve avec l'existence du contrat de travail une autonomie de gains et salaires de l'époux salarié. Ces gains et salaires sont personnels au salarié et différenciés de ceux de son époux employeur. [...]
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