Il convient avant tout de préciser que l'interrogation posée n'intéresse que le domaine de la responsabilité délictuelle. En ce qui concerne la responsabilité contractuelle du fait d'autrui, il est rare que le débiteur exécute seul ses obligations. Le plus souvent, il confie tout ou partie de l'exécution à des tiers qui agissent pour son compte. Dans ce cas, la responsabilité encourue par le débiteur résultant d'une exécution défectueuse sera nécessairement une responsabilité du fait d'autrui. Et un certain nombre de dispositions légales éparses prévoient expressément une telle responsabilité. Mais la jurisprudence en a induit un principe général de responsabilité contractuelle du fait d'autrui (Cass. Civ., 1re, 18 oc. 1960). Elle l'a appliqué notamment à la responsabilité du chirurgien du fait des participants à l'équipe chirurgicale, à celle de l'entrepreneur du fait des sous-traitants. Et en doctrine, ce principe qui suscita un temps des réserves, n'est plus guère discuté aujourd'hui tant il est vrai que le nier serait accorder au débiteur un moyen de s'exonérer de ses obligations en confiant l'exécution à des tiers. Il n'est donc pas question ici de rediscuter l'existence d'un principe général de responsabilité contractuelle du fait d'autrui. Et il ne s'agit pas non plus de déterminer un principe général de responsabilité du fait d'autrui commun aux domaines contractuel et délictuel. En effet, ce qui les distingue est principalement et indubitablement le fait qu'en ce qui concerne la responsabilité contractuelle du fait d'autrui, il n'est pas nécessaire de chercher un lien de rattachement ou d'imputabilité entre l'inexécution dommageable et le responsable. Il ne peut y avoir de rapprochement entre deux régimes. Aussi, en ce qui concerne la responsabilité délictuelle du fait d'autrui, selon l'article 1384 alinéa 1er du code civil, « on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde ». En 1933, la question de savoir s'il existait un principe général de responsabilité du fait d'autrui se posait déjà. En effet, R. Savatier, professeur à la faculté de droit de Poitiers, donnait ses faveurs à une interprétation de la responsabilité générale du fait des personnes dont on doit répondre calquée sur celle de la responsabilité générale du fait des choses que l'on a sous sa garde. Il apparaît en effet extrêmement curieux que la jurisprudence n'ait interprété extensivement que l'une des deux dispositions jumelées qui apparaissent à l'article 1384 al.1er. En effet, jusqu'à récemment, seule la disposition touchant à la responsabilité du fait des choses a été utilisée sur ce terrain. En ce qui concerne la responsabilité du fait d'autrui, ce même texte a longtemps été traité « comme s'il annonçait seulement les dispositions ultérieures, sans avoir la vertu d'y rien ajouter ». Et seuls quelques auteurs ont estimé que l'article 1384 al. 1er pouvait rendre, pour la responsabilité du fait d'autrui, le même service de généralisation et de synthèse que pour la responsabilité du fait des choses, tels que Demogue ou Matter. Ainsi, durant la première moitié du XIXème siècle, il n'est fait que très peu et silencieusement état de la possible existence d'un principe général de responsabilité du fait d'autrui. Et l'interprétation faite de l'article 1384 al. 1er C.civ. par les tribunaux corrobore largement l'interprétation restrictive de cet article, puisqu'ils affirment expressément que les cas légaux de responsabilité pour autrui sont limitatifs (Tribunal de Fontainebleau, 9 déc. 1932 par exemple). Cependant, il ressort de la jurisprudence majoritaire, analysée à partir de cette même époque, qu'une faute propre du garant de la personne est à même de mettre en cause la responsabilité du fait d'autrui. Et la démonstration de cette faute, suivant l'expansion moderne de l'idée de responsabilité, a été de façon croissante facilitée, voir parfois la faute a été présumée. Et chacun des cas énumérés par la loi limitativement ont été interprétés de plus en plus largement. Selon R. Savatier, l'article 1384 al. 1er apparaît comme l'instrument idéal pour l'élaboration d'un principe général de responsabilité du fait d'autrui. Et l'instauration de ce principe général permettrait au système juridique de responsabilité de développer alors une responsabilité utile, qui serait en concordance avec l'évolution de la conscience moderne, « qui tend de plus en plus à réclamer d'instinct, pour touts les dommages qui surviennent à une personne quelconque, un instrument de réparation, le plus souvent par l'intermédiaire d'une responsabilité ». Il s'agit donc, pour que cette responsabilité soit utile, qu'elle s'appuie sur une assurance ou sur une personne solvable. On s'aperçoit donc que la volonté d'indemniser la victime, propre en premier lieu à la mécanique de la responsabilité civile délictuelle, était déjà entendue par la doctrine et par la jurisprudence, dans le même sens, il y environ un siècle. Mais il s'agit avant tout de déterminer en quoi l'instauration d'un principe général de responsabilité du fait d'autrui était d'une part utile dans la théorie juridique, et d'autre part dans quelle mesure ce principe général serait entendu être appliqué. En effet, le rôle de consacrer l'interprétation extensive de l'article 1384 al. 1er revenait à la jurisprudence, qui devait donc en déterminer non seulement le contenu, que ce soit de manière implicite ou explicite, mais aussi d'en dessiner les contours. L'article 1384 ne posait donc pas à l'origine un principe général de responsabilité délictuelle du fait d'autrui, mais valait introduction à des cas particuliers d'une telle responsabilité. Malgré leur diversité apparente, ces cas avaient en commun de concerner la responsabilité des personnes : les parents, les maîtres et commettants, les artisans ou les instituteurs, chargées du « dépôt sacré de l'autorité », dont il fallait, d'après les travaux préparatoires des rédacteurs du code civil, « stimuler la vigilance ». Le fondement de la responsabilité délictuelle du fait d'autrui était le second point de rapprochement de ces cas de responsabilité. Ces cas, bien que fondés sur la faute, qui est l'élément essentiel de la mécanique de la responsabilité civile, apparaissaient comme des exceptions au régime commun de la responsabilité délictuelle en ce qu'il s'agissait d'une faute présumée, contrairement aux articles 1382 et 1383 C.civ. Une telle conception, selon laquelle la responsabilité du fait d'autrui est une exception d'interprétation stricte au droit commun de la responsabilité civile délictuelle, résulte d'une certaine lecture du Code civil. Et l'on constate depuis quelques années une évolution de cette responsabilité, comparable à celle qu à connue la responsabilité du fait des choses du fait de l'expansion du machinisme et de l'avènement de la société industrielle. Dans ce domaine l'article 1384 al. 1er dans son dernier membre de phrase, n'a plus été conçu comme une simple annonce des articles 1385 et 1386 relatifs à la responsabilité spéciale du fait des animaux ou de la ruine des bâtiments, mais comme un principe général de responsabilité du fait des choses, c'est à dire toute chose. La lecture extensive de l'alinéa 1er de l'article 1384 a été poursuivie à propos de la responsabilité du fait d'autrui, comme le souhaitait déjà R. Savatier en 1933. Pourtant, pendant longtemps, la Cour de cassation refusait toute extension de cette responsabilité en dehors des cas limitativement prévus par le code civil. Le refus d'un tel principe général n'excluait aucunement q'une personne pût voir sa responsabilité engagée à la suite d'un fait dommageable d'autrui : il s'opposait seulement à l'admission d'une responsabilité présumée. Et hors des cas visés à l'article 1384, il ne pouvait y avoir de responsabilité du fait d'autrui que si une faute du défendeur était prouvée. Cette « responsabilité du fait d'autrui » se ramenait ainsi à un cas particulier de responsabilité du fait personnel. Mais l'Assemblée plénière est venue apporter une pierre à la construction de l'édifice, consacrant une solution nouvelle avec l'arrêt Blieck rendu le 29 mars 1991. Par cet arrêt, la Cour de cassation admet la responsabilité d'une institution du fait d'un de ses pensionnaires. Nous verrons que cet arrêt paraissait ne consacrer qu'à moitié un principe général de responsabilité du fait d'autrui, mais que cette solution a été le fondement de la reconnaissance d'un principe général de responsabilité du fait d'autrui. Quel est le régime général de la responsabilité du fait d'autrui ? Quelle est la nature de la présomption de responsabilité du fait d'autrui ? Est-il possible d'élaborer un critère unique engageant de plein droit la responsabilité du fait d'autrui ? Il reste que face à toutes ces interrogations, c'est bien la possibilité de permettre à toute victime d'un dommage causé par la faute d'une personne responsable mais insolvable d'être dédommagé. Et le principe général de responsabilité du fait d'autrui permet de simplifier les règles de mise en cause de la responsabilité, répondant ainsi à un impératif de sécurité juridique. Mais les différents arrêts rendus en la matière révèlent que ce principe général de responsabilité délictuelle du fait d'autrui n'est pas encore aujourd'hui clairement défini ; et un certain nombre de décisions se posent en frein à la consécration d'un tel principe. Le principe général de responsabilité du fait d'autrui apparaît donc depuis l'arrêt Blieck comme consacré théoriquement (I), mais il reste cependant non seulement des incertitudes quant à la portée même du principe mais aussi des freins à cette reconnaissance d'un principe général posé par l'absence de caractères unitaires à la responsabilité générale du fait d'autrui et de diverses décisions (II).
[...] Si la 2e chambre civile avait refusé, le 28 fév d'étendre la responsabilité du fait d'autrui fondée sur l'art al. 1er au tuteur d'un majeur handicapé, c'était en hommage aux caractères non professionnel et non rémunéré de ses fonctions, et, surtout, parce qu'une objectivation de la responsabilité du tuteur pouvait faire craindre une désaffection des charges tutélaires. Mais ces motifs se retrouvent à l'identique pour la tutelle du mineur. On peut alors redouter qu'en œuvrant pour l'amélioration et l'expansion de l'assurance la Cour de cassation ait finalement contribué à fragiliser la tutelle et, peut être, à déresponsabiliser les membres de la famille de l'incapable à qui cette charge serait susceptible d'être confiée. [...]
[...] Existe-t-il un principe général de responsabilité du fait d'autrui ? Introduction Il convient avant tout de préciser que l'interrogation posée n'intéresse que le domaine de la responsabilité délictuelle. En ce qui concerne la responsabilité contractuelle du fait d'autrui, il est rare que le débiteur exécute seul ses obligations. Le plus souvent, il confie tout ou partie de l'exécution à des tiers qui agissent pour son compte. Dans ce cas, la responsabilité encourue par le débiteur résultant d'une exécution défectueuse sera nécessairement une responsabilité du fait d'autrui. [...]
[...] D'autre part, certains auteurs voient une dissociation entre les deux nouveaux cas de responsabilité du fait d'autrui (responsabilité des associations sportives et des personnes gouvernant le mode de vie des handicapés ou des enfants mineurs L'éviction de l'interprétation de l'art al. 1er des deux nouveaux cas de responsabilité du fait d'autrui Patrice Jourdain a vu dans la consécration de la responsabilité des associations sportives du fait de leurs membres un frein à la consécration d'un principe général de responsabilité du fait d'autrui. En effet, selon lui, l'application de l'art al. 1er aux associations sportives (Cass. civ. 2e fév. 2000) attribue en réalité à la nouvelle responsabilité du fait d'autrui un champs d'application distinct de celui qui était initialement le sien. [...]
[...] Malgré sa nouveauté, l'arrêt Blieck n'a pas posé un véritable principe général de responsabilité délictuelle du fait d'autrui. L'attendu de principe de la Cour de cassation apparaît en effet subordonner à des strictes conditions la mise en œuvre de la responsabilité de l'association : responsabilité limitée au fait d'une personne handicapée, nécessité d'une acceptation préalable de la prise en charge de la personne inadaptée, existence d'un contrôle permanent sur son mode de vie. Ces critères restrictifs interdisent de parler d'un véritable principe général de responsabilité du fait d'autrui. [...]
[...] Dans le premier cas, l'autorité des responsables s'apparente à la garde de la personne d'autrui caractérisée par les pouvoirs d'organisation, de direction et de contrôle du mode de vie. Dans l'autre cas, elle est celle dont disposent les personnes qui encadrent l'activité d'autrui lorsqu'elle expose les tiers à certains risques. De telle sorte que P. Jourdain conclut qu'il s'évince de l'innovante interprétation jurisprudentielle de l'article 1384 al 1er deux nouveaux cas de responsabilité du fait d'autrui de portée encore relativement limitée qui représente plutôt un frein qu'une consécration d'un principe général de responsabilité du fait d'autrui. [...]
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