« Office du juge : ensemble des pouvoirs nécessaires au juge pour accomplir sa mission juridictionnelle. « A eu tendance à croître au début du XXIe siècle » ». Libre à chacun de voir dans cette tendance un mouvement illégal, inconstitutionnel, illégitime, abusif ou autre refus de reconnaissance, il n'en restera pas moins que la jurisprudence est désormais admise dans la très sélective catégorie des sources de droit, du moins pour les principaux intéressés que sont nos juges. Cette consécration - ou cet aveu d'un statut déjà acquis de longue date - s'est faite par le biais du pouvoir de moduler les effets de son activité dans le temps, pouvoir indivisible de la reconnaissance préalable que cette activité est bien créatrice d'un effet normatif. L'année 2004 avait marqué la fin de la résignation aux méfaits inéluctables de la rétroactivité de l'activité juridictionnelle : il n'aura échappé à personne que, dans la même année, le Conseil d'Etat acceptait la modulation des effets dans le temps d'une annulation (CE 11 mai 2004) et la Cour de cassation opérait un revirement pour l'avenir (Civ. 2e, 8 juill. 2004), faisant preuve d'une audace rapidement confortée par le rapport remis à son Premier président par le groupe de travail présidé par Nicolas Molfessis sur Les revirements de jurisprudence.
[...] Le désaccord naîtra alors sur la force accordée à cet obstacle théorique, qui sera plus ou moins surmontable selon que l'on craint davantage les pouvoirs du juge ou les méfaits de la rétroactivité, que l'on préfère cantonner le pouvoir du juge par l'affirmation de son interdiction ou que l'on pense que le pouvoir normatif est . une évidence et que le nier revient à le renforcer et non à le limiter que l'on apprécie le pouvoir créateur du juge intrinsèquement ou comme un élément du système parmi d'autres. [...]
[...] Si la référence était déjà suspectée d'être très historique et d'avoir été dépassée par des normes hiérarchiquement supérieures, l'un des principaux enseignements de cet épisode sera peut-être qu'au surplus l'article 5 du code civil n'est pas doté dans notre système d'une acception monosémique, ce qui devrait en soi faire douter de la pertinence de l'appel à cette disposition comme fin et commencement de la jurisprudence comme source de droit. Tant l'interdiction de disposer par voie de disposition générale et réglementaire que la figure honnie de l'arrêt de règlement sont souvent interprétées comme interdisant au juge de poser une interprétation obligatoire pour l'avenir. [...]
[...] Les revirements pour l'avenir de la Cour de cassation font une supposée pesée qui n'est pas moins à l'abri de discussions : le procès équitable invoqué ne l'est que pour une partie, et manifeste peu d'égards pour le plaideur qui a provoqué le revirement - on n'ose plus dire obtenu tant le justiciable se trouve réduit à l'état de cas clinique Par ailleurs, si la présomption d'innocence et la protection du droit d'action en justice pour une atteinte aux droits de la personnalité (communiqué) sont mis en avant pour justifier la non-rétroactivité du revirement, ne peut-on estimer la liberté d'expression, fondement de la courte prescription en matière de presse, suffisamment impérieuse pour justifier la rétroactivité ? Selon l'avocat général, cette importance, conjuguée à la prévisibilité du revirement de 2004, devait mener à refuser une dérogation à la rétroactivité en l'espèce. Plus généralement, Conseil d'Etat et Cour de cassation doivent résister à la tentation de la facilité qui consiste à mettre dans un plateau de la balance et à estimer suffisant un principe aussi vague qu'auréolé de toutes les vertus, dont on imagine facilement tous les effets pervers. [...]
[...] Cependant, il reste possible, dans des cas exceptionnels, et pour éviter des conséquences d'une exceptionnelle gravité, de lever la fiction et d'admettre, le temps pour le juge de faire obstacle à la rétroactivité de sa nouvelle interprétation, qu'elle n'était pas toute entière déjà dans le texte mais procède également d'un acte de volonté du juge. Il semble donc possible de composer avec l'ambiguë absence de force obligatoire de la jurisprudence ou avec la très fictive théorie de l'incorporation pour admettre le pouvoir créateur du juge. Cependant, posséder un pouvoir créateur ne signifie pas avoir un don d'omnipotence : comme tout pouvoir, même de fait, celui-ci doit respecter des limites. Or, le revirement pour l'avenir heurte la source même du pouvoir du juge et ici se crispe le débat. [...]
[...] Pendant que la doctrine administrativiste applaudissait les avancées du pouvoir modulateur de son juge et regrettait qu'il n'ait pas été étendu au revirement de jurisprudence, la doctrine civiliste conjurait la Cour de cassation de suivre le chemin inverse (et pendant ce temps, la Chancellerie se consacre à un examen approfondi de la question . Ces publications étaient doublées de positions des différentes chambres de la Cour de cassation, et des différentes compositions de chaque chambre, aussi diverses que maintenues dans la discrétion de leur non-diffusion : certaines ont réitéré la position adoptée par la chambre sociale le 17 décembre 2004 (Soc juin 2005), d'autres maintenu l'incorporation de la jurisprudence dans le texte interprété pour justifier sa rétroactivité (Soc avr. 2005), éventuellement en reprenant la motivation de l'arrêt du 9 octobre 2001 (Soc févr. [...]
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