« Le droit cesse où l'abus commence », cette citation de MARCEL FERDINAND PLANIOL, figurant dans son ouvrage de 1899 intitulé Traité élémentaire de droit civil, met en abîme une des théories développées au XIXème siècle : celle de l'abus de droit.
Pour étudier cette théorie, nous allons nous reposer sur un célèbre arrêt en la matière de la chambre des requêtes de la Cour de cassation en date du 3 août 1915 opposant Mr Coquerel Jules (le défendeur) à Mr Clément-Bayard Adolphe (le requérant). Cet arrêt développe une des applications de l'abus de droit concernant le droit de propriété. En l'espèce, le défendeur est propriétaire d'un terrain attenant à celui du requérant, ce premier a installé sur son terrain des carcasses de bois de 16 mètres de hauteur surmontées de tiges de fer pointues situées à la limite de son domaine près de la sortie du hangar à dirigeables de son voisin. Un ballon dirigeable a été endommagé en 1912 par cet agencement, suite à quoi, le voisin va intenter une action en justice pour abus du droit de propriété et dommages et intérêts.
[...] Ainsi l'arrêt du 3 août 1915 s'inscrit dans une continuité jurisprudentielle en soulevant la limitation du droit de propriété par la reconnaissance de l'abus de ce droit. Le droit de propriété doit être protégé contre les atteintes susceptibles d'entraver aux différents pouvoirs conférés par ce droit, mais c'est en même temps pour éviter un exercice abusif de ce droit par son détenteur qu'a été développé la conception doctrinale d'abus de droit pouvant être appliqué au droit de propriété, c'est pourquoi le juge civil a eu besoin de fonder un critère pour appuyer, justifier cette théorie et pour savoir à partir de quel moment le droit licite de propriété devient un abus de droit. [...]
[...] La première condition indispensable à l'applicabilité de la théorie de l'abus de droit est le fait que l'action est dépourvue d'utilité, ce qui est précisé par l'expression ce dispositif ne présentait ( ) aucune utilité La deuxième condition est le fait que l'action doit relever d'une intention de nuire, ce qui est explicité par l'expression été édifié dans le but de nuire La jurisprudence a admis le fait que le propriétaire abuse de son droit dès lors qu'il l'exerce dans la seule intention de nuire à autrui dans la décision de la Cour d'Appel de Colmar du 2 mai 1855 ou encore dans la décision Req. Du 10 juin 1902. Ainsi l'arrêt Clément-Bayard du 3 août 1915 s'inscrit une fois encore dans la lignée de ces jurisprudences antérieures. La doctrine s'accorde sur l'importance de critère qui fait peut-être aussi l'œuvre de moins nombreuses et divergentes interprétations doctrinales que la notion d'utilité Enfin, il est intéressant de remarquer que l'attention se porte sur le comportement blâmable du propriétaire auteur du dommage. [...]
[...] Souvent la notion d'abus de droit abrite des fautes qui pourraient être aussi bien sanctionnées comme manquements aux devoirs de loyauté ou au principe de bonne foi. C'est cette diversité des fautes constitutives d'abus de droit et la variété de leur qualification sous la même appellation qui donne au contrôle judiciaire toute sa souplesse et rend la synthèse particulièrement difficile. Il semble que les tribunaux veuillent conserver en matière d'abus de droit une marge de manœuvre, d'où le fait par exemple que dans l'arrêt Clément- Bayard du 3 août 1915, la Cour d'Appel d'Amiens et la Cour de Cassation ne parlent pas explicitement de la règle du critère de l'intention de nuire à autrui. [...]
[...] Dans l'arrêt du 3 août 1915, la reconnaissance de l'abus du droit de propriété se fait grâce à ce critère, comme me montre la phrase de l'arrêt précitée. En effet, la cour de cassation retient le raisonnement suivant : en établissant les carcasses en bois surmontées de tiges de fer pointues, le défendeur a exercé son droit de jouir et de disposer de son bien en vertu de l'article 544 du Code civil, mais il l'a exercé de manière abusive, c'est-à-dire de manière non motivée et ayant pour but de nuire à son voisin, en plaçant ce dispositif à proximité du hangar à dirigeables du requérant.Le fait de disposer des tiges métalliques en hauteur, alors que son voisin possède une entreprise de dirigeables, constitue bien une intention de nuire de par ce dispositif, d'autant plus que ce dispositif ne peut être considéré comme une clôture. [...]
[...] Ainsi pour les tribunaux, l'abus de droit apparaît d'abord comme le moyen de réparation des conséquences de fautes commises par l'exercice abusif d'un droit. Ainsi dans cet arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de Cassation du 3 août 1915, il y a admission d'un abus du droit de propriété grâce au principal critère de l'intention de nuire qui permet en grande partie à la jurisprudence de déterminer à partir de quel moment le droit cesse d'être licite pour devenir abusif. [...]
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