La question de l'établissement de la filiation maternelle de l'enfant naturel par indication du nom de la mère fait, depuis de nombreuses années déjà, l'objet d'un débat dont l'importance théorique est inversement proportionnelle au nombre de cas concrets où elle se pose concrètement. L'article 337 du code civil prévoit que « l'acte de naissance portant l'indication de la mère vaut reconnaissance, lorsqu'il est corroboré par la possession d'état ». La reconnaissance de l'enfant par la mère est donc, en principe, obligatoire pour établir la filiation à son égard. L'accouchement ne suffit pas, à lui seul, à le faire. L'exception posée suffit néanmoins à éliminer la plupart des difficultés. En effet, dans l'hypothèse, peu concevable, où la mère n'aurait pas été informée lors de son séjour à l'hôpital ou à l'occasion de l'accomplissement de formalités nécessaires à l'octroi du bénéfice des lois sociales, la possession d'état permettra de ratifier l'acte de naissance et conduira de toute façon à une reconnaissance de fait. L'absence de reconnaissance n'a, dès lors, que très peu de chances d'être fortuite. Le problème ne se pose que dans des hypothèses marginales, en cas de décès au cours de l'accouchement, ou suite à des recherches généalogiques dans des affaires successorales. La pauvreté du contentieux ne prive cependant pas la question de tout intérêt pratique comme en témoigne l'arrêt rendu par la première Chambre civile de la Cour de cassation le 14 février 2006.
Aïcha X... et Himmène Y..., sa fille majeure, ont engagé une action déclaratoire de nationalité française fondée sur l'article 18 du code civil en s'appuyant sur la nationalité française de leur père et grand-père, Amar X..., conservée à la suite de l'indépendance de l'Algérie. La Cour d'appel d'Aix-en-Provence les a néanmoins déboutées de leur demande, en considérant que, faute de reconnaissance de Amar X... par sa mère, Mekna Z..., française d'origine israélite soumise au statut civil de droit commun en vertu du décret du 24 octobre 1870, et en l'absence de possession d'état ou de mariage démontré de ses parents, l'acte de naissance ne pouvait suffire à établir sa filiation maternelle. L'arrêt est cassé par la première Chambre civile de la Cour de cassation sous le double visa des articles 8 et 14 de la Convention européenne. Selon elle, le droit au respect de la vie familiale et le principe de prohibition des discriminations imposent ainsi aux juges de considérer que la mention du nom de la mère dans l'acte de naissance suffit à établir la filiation maternelle, sans qu'il y ait lieu, comme l'exige pourtant l'article 337 du code civil, de vérifier si cette mention est corroborée par la possession d'état. Ce faisant, la Cour reprend à son compte la solution consacrée par la Cour européenne des droits de l'homme dans le célèbre arrêt Marckx du 13 juin 1979 et confirme le jugement controversé rendu par le Tribunal de grande instance de Brive, dans un jugement du 30 juin 2000, après s'être prononcée dans le sens contraire moins d'un an auparavant. Il s'agissait là encore d'une action déclaratoire de nationalité. Le requérant, né au Gabon, avait engagé l'action en s'appuyant sur la nationalité française de sa mère que celle-ci avait conservée après l'indépendance du Gabon. La Cour d'appel de Paris, dans un arrêt remarqué du 4 avril 2003, a rejeté sa demande et constaté son extranéité en constatant que son acte de naissance comportant la simple indication du nom de la mère sans faire référence à une éventuelle reconnaissance. La première Chambre civile, dans un arrêt du 14 juin 2005, a considéré que la Cour pouvait légitimement en déduire, en l'absence de preuve d'une possession d'état, que la filiation n'était pas établie. L'arrêt du 14 février 2006 constitue donc un spectaculaire revirement de jurisprudence. Déclaré contraire aux principes garantis par la Convention européenne des droits de l'homme (I), l'article 337 du code civil doit désormais être considéré comme définitivement abrogé pour la période restant à courir jusqu'à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 (II).
[...] Cet argument ne nous semble cependant pas totalement convaincant. L'évolution sociale, au cours des cinquante dernières années, a conduit à dissocier sans cesse davantage le mariage de la procréation. A l'heure du PACS et du mariage des transsexuels, alors que de plus en plus d'Etats européens s'interrogent sur l'opportunité d'ouvrir l'institution aux couples de même sexe, comme c'est déjà le cas en Belgique, en Espagne et aux Pays-Bas, il devient difficile de se fonder sur l'engagement parental de la mère. [...]
[...] Cela semblait d'autant plus évident au lendemain de la loi du 25 juin 1982, qui, en faisant de la possession d'état un mode d'établissement autonome de la filiation, avait fini par rendre inutile la précision apportée par l'article 337 du code civil. Le législateur n'a cependant pas profité de l'occasion qui lui était donnée lors de la rédaction de la loi du 8 janvier 1993. Après cette occasion manquée, la question est revenue à l'ordre du jour suite aux conclusions rendues par la Commission Dekeuwer-Défossez. [...]
[...] Elle répare ainsi la confusion dénoncée entre la norme obligatoire et l'interprétation de la norme. Comme le remarquait justement l'un des commentateurs dudit jugement, si les juges voulaient fonder leur solution sur le droit européen [ . il fallait d'abord viser les textes applicables avant d'en dégager une interprétation opportune et adéquate, éventuellement à la lumière des solutions déjà rendues dans des affaires similaires par les juges de Strasbourg. Il fallait inventer la démonstration et non se référer, abstraitement, à quelques passages d'un arrêt au contexte complètement différent En visant directement les articles 8 et 14 de la Convention, sans même faire allusion à l'arrêt Marckx, la première Chambre civile a pris soin d'esquiver le débat relatif à l'autorité de la chose interprétée Elle s'est également abstenue de revenir sur le problème de l'application rétroactive du principe consacré. [...]
[...] L'évolution sociale a eu raison de cet argument qui a aujourd'hui perdu toute sa valeur. C'est ce qui explique que le Tribunal de grande instance de Brive ait considéré que l'application des dispositions d'interdiction de discrimination entre les personnes, qui doivent pouvoir jouir sans distinction aucune, fondée notamment sur la naissance, des droits et libertés reconnus dans la Convention, justifie que cessent les discriminations existant encore en droit français entre le statut des enfants légitimes et celui des enfants naturels Cette idée a cependant été critiquée par Mme Fenouillet et M. [...]
[...] Le droit français se distinguait ainsi des solutions consacrées par la plupart de ses voisins. Un effort d'harmonisation a ensuite été entrepris par la Commission internationale de l'état civil qui a élaboré, en 1962, une convention internationale sur le sujet. Sa ratification a cependant été rejetée par le Sénat français en 1970 par crainte de voir le nombre d'enfants adoptables diminuer considérablement. Ce souci a conduit le législateur à conserver le principe en 1972, malgré les critiques dont il avait fait l'objet. [...]
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