Selon le célèbre adage « juge unique, juge inique », l'unicité du juge est, ou peut être, source d'iniquité. La très ancienne controverse sur les mérites comparés entre la collégialité et le juge unique n'est pas close aujourd'hui ce qui révèle l'attachement des juristes à une conception collégiale de l'administration de la justice. Cela peut sembler paradoxal dans un pays où domine l'image de Saint Louis rendant justice sous son chêne, archétype du juge unique. Une juridiction est qualifiée de collégiale lorsqu'elle est composée de plusieurs juges qui statuent ensemble. A l'inverse, on parle de juridiction à juge unique lorsqu'un seul magistrat est appelé à juger. La collégialité est présentée classiquement comme un rempart contre l'arbitraire du fait notamment de la méfiance à l'égard des juges que le droit français tient de la Révolution. Montesquieu a même écrit que « le magistrat unique ne pouvait avoir lieu que dans le gouvernement despotique ». La collégialité est ainsi traditionnellement perçue comme une garantie importante des droits de la défense car elle diminue le risque de partialité du juge et car elle suscite un débat entre les magistrats. En réalité, à toutes les époques, le droit français a vu cohabiter des juges uniques et des formations collégiales. La Révolution a instauré le juge de paix, juge unique, qui est l'ancêtre de notre actuel tribunal d'instance. De nos jours, le principe reste la collégialité (article L311-8 du Code de l'organisation judiciaire concernant le TGI). Paradoxalement, aucun texte ne pose la collégialité en principe. Le Conseil constitutionnel se limite à censurer pour atteinte à l'égalité des citoyens les dispositions permettant de déférer une affaire, selon les cas, à un juge unique ou à une formation collégiale (décision du 23 juillet 1975). Le législateur peut donc porter atteinte à ce principe qui n'a pas valeur constitutionnelle, ainsi il a multiplié les juges uniques en matière civile. Le tribunal de grande instance ne déroge pas à ce constat. La formation ordinaire du tribunal de grande instance est collégiale : les juges doivent en principe être en nombre impair (trois magistrats) de manière à ce qu'une majorité puisse être dégagée. Cependant, les cas où le TGI statue à juge unique sont de plus en plus nombreux. Se pose donc la question de savoir si la collégialité a plus d'avenir que le juge unique au sein du TGI. La collégialité va-t-elle résister face à la pression, au poids du juge unique ou bien allons-nous basculer dans un système d'un tribunal de grande instance statuant exclusivement à juge unique ? Allons-nous vers un juge unique en première instance et une collégialité en appel comme cela existe en Grande-Bretagne? Il apparaît, d'une part, que la collégialité est un principe traditionnel au sein du TGI même s'il est affaibli par l'apparition de juges uniques (I) et d'autre part, il apparaît qu'actuellement et sûrement dans l'avenir, on se dirige vers une continuation de l'affaiblissement de la collégialité, au sein du TGI, justifié par les nouveaux enjeux de célérité et d'efficacité de la justice (II).
[...] Au sein de la formation collégiale, va s'instaurer un débat auquel se livre les magistrats durant le délibéré, qui doit permettre plus sûrement d'atteindre la vérité que la réflexion isolée d'un juge unique. Ne dit-on pas que de la confrontation des idées jaillit la lumière ? Par ailleurs, il s'effectue un contrôle de chaque juge par ses collègues ce qui est garant d'impartialité et d'indépendance. De plus, le juges partagent la responsabilité ainsi ils résisteront peut-être mieux aux influences extérieures. [...]
[...] La pratique révèle trop souvent qu'il n'y a pas un véritable délibéré à trois, s'est ainsi posée la question de la présence du juge unique au TGI. Force est de constater actuellement une montée irrépressible du juge unique en procédure civile et même au sein du TGI. Le mouvement a commencé avec le juge de paix, les juges des référés, et s'est poursuivi avec la spécialisation de juges uniques pour certains types de litiges : le juge aux affaires familiales (article L312-1 COJ), le juge de la mise en état, le juge de l'exécution. Le domaine d'intervention du juge unique au TGI est vaste. [...]
[...] Madame Dominique BARTHE, juge au TGI d'Aix-en-Provence, a dit à ce sujet qu' il s'agit d'une logique purement financière, qui sur le plan des libertés est extrêmement dangereuse. Nombreux sont d'ailleurs les magistrats qui ne souhaitent pas prendre seuls certaines décisions Si nous voulons améliorer l'image de la justice, il faut la rendre plus efficace ce qui avait déjà été affirmé dans le rapport Coulon de 1997. Cette évolution caractéristique du déclin de la collégialité et en parallèle de la présence de plus en plus importante du juge unique au TGI, s'explique par le phénomène de rationalisation de la justice. Est-ce la fin de la collégialité? [...]
[...] Il faut ainsi trouver un équilibre entre la collégialité qui perd du poids mais qui est pourtant fondamentale et le juge unique qui répond au souci de célérité. On peut imaginer qu'il survienne une généralisation du juge unique en première instance et une collégialité en appel comme en Angleterre ou en Espagne comme le souhaite le projet de réforme. Mais, pour autant, le nombre de magistrats va-t-il augmenter en proportion des affaires qu'ils auront à traiter? Il ne parait pas évident que la Chancellerie fasse un effort particulier une fois qu'il y aura le juge unique en première instance. [...]
[...] Mais les parties peuvent-elles réellement refuser ce que le Président demande? En réalité, si on prend en considération le travail du juge aux affaires familiales, du juge de l'exécution, du juge des référés, du juge à l'expropriation, du juge rapporteur, on se rend compte qu'un nombre considérable de décisions civiles est rendu par un juge unique au sein du TGI. Certaines décisions rendues par un juge unique n'auront pas l'autorité de la chose jugée au principal (ordonnances de référés par exemple sont des décisions provisoires) cependant un nombre conséquent de décisions est rendu sur le fond par un juge unique au TGI (juge des accidents de la circulation terrestre). [...]
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