(...) Jusqu'à cet arrêt et depuis le milieu du 19ème siècle, la jurisprudence, sur le fondement des articles 1128 et 1598 du code civil, condamnait la cession de clientèle civile, considérée comme illicite du fait de l'analyse classique de l'activité intellectuelle, indépendante et désintéressée des professions. Il était alors jugé que la clientèle médicale est personnelle, de ce fait incessible et hors du commerce ; que les malades jouissant d'une liberté absolue de choix de leur médecin, la clientèle qu'ils constituent, attachée exclusivement et de façon toujours précaire à la personne de ce praticien, est hors du commerce et ne peut faire l'objet d'une convention.
La jurisprudence ancienne posait cependant des limites à cette illicéité de la cession de clientèle médicale : les conventions de présentation du successeur à la clientèle. Ainsi, la jurisprudence, qui a reconnue très tôt la licéité de la présentation de la clientèle civile, considérait que, bien que la clientèle civile ne soit pas dans le commerce, le droit de la présenter est un droit patrimonial pouvant faire l'objet d'une convention de droit privé. C'est-ce qu'avait décidé la première Chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 7 juin 1995 (D.1995. 559, note Beignier). Ainsi, ce qui déterminait la nullité du contrat n'était plus le fond de l'opération mais le respect d'un formalisme obtus.
En l'espèce, les deux parties s'appuyaient sur la jurisprudence existante sans tenter de la remettre en cause. Le demandeur, M. Sigrand, déçu de l'opération dans laquelle il s'était engagé, exploite l'argument, facile, de l'illicéité de la cession de clientèle civile. Le défendeur, M. Woessner, estimait, pour sa part, que « l'objet du contrat était en partie licite comme faisant obligation à M. W de présenter M. Sigrand à sa clientèle ».
L'arrêt de la première Chambre civile du 7 novembre 2000 constitue une rupture avec la jurisprudence traditionnelle qui vient d'être rappelée. Rupture qui est marquée par le fait que la Cour de cassation pose le principe de la licéité de la cession de la clientèle médicale, licéité toutefois dépendante d'une condition : que ni la convention de cession, ni les modalités de son exécution ne limitent pour le patient sa liberté de choix de son médecin (...)
[...] En effet, en l'espèce, si la Cour de cassation impose la condition de la liberté de choix du patient , c'est afin que la cession de la clientèle médicale , à l'occasion de la constitution ou de la cession d'un fonds libéral d'exercice de la profession ne soit pas illicite. Ainsi la patrimonialisation se fait dans le cadre de ce fonds libéral. En effet, le revirement de l'arrêt ,en écartant l'illicéité de l'objet en cause en cas de cession d'une clientèle civile, patrimonialise en quelque sorte cette dernière. [...]
[...] Ainsi la cession de clientèle civile ne devrait plus être appréhendée en soi mais le sera a travers le fonds libéral dont la clientèle civile fait partie. Une grande partie de la doctrine critique cette modification, regrettant l'influence trop forte du modèle du droit commercial. II. Une patrimonialisation encadrée de la clientèle civile La reconnaissance de la cession de clientèle civile dans le cadre d'un fonds libéral constitue l'originalité de cet arrêt mais est loin d‘être totalement accepté par la doctrine(A). La sanction en cas de non respect des nouvelles limites posées par la Cour de cassation est la nullité du contrat. [...]
[...] En l'espèce, la particularisation de la clientèle civile conduit à abandonner, au moins en partie, cette approche subjective de la clientèle civile pour la rapprocher de la deuxième acceptation possible de la notion de clientèle : l'acceptation objective. Celle-ci représente les éléments d'attirance du client , cette vision caractérisant la clientèle commerciale. Le véritable revirement de cet arrêt consiste donc au passage de l'approche subjective vers l'approche objective pour la clientèle civile. Elle est cédée en même temps que le fonds libéral; l'attirance de la clientèle ne s'explique plus alors par les seules qualités du professionnel. [...]
[...] Cette solution est reprise par la jurisprudence postérieure : Désormais, une nullité du contrat non plus basée sur l'objet illicite mais sur les nouvelles conditions jurisprudentielles La décision de la Cour de cassation est un arrêt de rejet, la première Chambre civile considérant que les juges du fond avaient souverainement considéré que cette liberté de choix accordée au patient n'était pas respectée en l'espèce. Par ce rejet, la Cour de cassation affirme sa volonté de maintenir la même sanction en cas de non respect de la liberté de choix de clientèle civile: la nullité du contrat. Donc en cas d'atteinte à ce droit, comme avant, le contrat est annulé. Cependant, il ne l'est plus sur le fondement de l'objet illicite. Le fondement change, pas la sanction. [...]
[...] C'est-ce qu'avait décidé la première Chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 7 juin 1995 ( D note Beignier). Ainsi, ce qui déterminait la nullité du contrat n'était plus le fond de l'opération mais le respect d'un formalisme obtus. En l'espèce, les deux parties s'appuyaient sur la jurisprudence existante sans tenter de la remettre en cause. Le demandeur, M. Sigrand , déçu de l'opération dans laquelle il s'était engagé, exploite l'argument, facile, de l'illicéité de la cession de clientèle civile. [...]
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