La « kafala » assure la prise en charge d'un enfant par des membres de la famille ou par des tiers. Dans les pays musulmans, elle pallie la prohibition de l'adoption. Violent l'article 370-3, alinéa 2, du code civil, qui interdit l'adoption d'un enfant dont la loi personnelle prohibe cette institution, les décisions qui prononcent l'adoption d'enfants algériens et marocains confiés en « kafala » à des requérants français : la « kafala » n'est pas assimilable à une adoption. Par une juste interprétation de la loi étrangère, la Cour de cassation assure une stricte application de la loi française. Au-delà, les arrêts rendus par la Cour de cassation le 10 octobre 2006 posent la question de la prise en charge d'enfants étrangers hors adoption et rejoignent les débats contemporains sur la parentalité.
Depuis trente ans, l'adoption internationale soulève les passions. Au coeur des interrogations juridiques, se trouve la place à reconnaître à la loi nationale de l'enfant adopté. La question n'est pas seulement théorique ; elle est avant tout pratique : peut-on adopter un enfant dont la loi nationale ignore ou prohibe l'adoption, ne connaît qu'une forme d'adoption (en général plus proche de l'adoption simple que de l'adoption plénière du droit français), ou réserve telle ou telle forme d'adoption à ses nationaux ? Dans un arrêt Torlet du 7 novembre 1984, la Cour de cassation avait affirmé que « les conditions comme les effets de l'adoption sont régis, lorsque l'adoption est demandée par une seule personne, par la loi nationale de celle-ci, la loi de l'enfant devant seulement déterminer les conditions du consentement ou de la représentation de l'adopté ». Pour permettre le prononcé de l'adoption, l'arrêt Pistre, le 31 janvier 1990, détacha l'analyse du consentement à l'adoption de la loi nationale de l'adopté : « le contenu même du consentement, savoir s'il a été donné en vue de l'adoption simple ou d'une adoption plénière, doit être apprécié indépendamment des dispositions de la loi nationale de l'adopté, le juge français devant s'attacher à la volonté expresse ou présumée de la personne qui a consenti » et l'arrêt Moreau du 1er juin 1994 posa comme seule exigence que « le consentement donné par l'adopté ou son représentant l'ait été en pleine connaissance des effets attachés par la loi française à l'adoption et, en particulier, dans le cas d'adoption plénière, du caractère complet et irrévocable de la rupture des liens qui unissent l'enfant avec sa famille par le sang ».
Peu importe donc que la loi nationale de l'enfant ne connaisse pas l'adoption, ou ne connaisse qu'une forme d'adoption assimilable à notre adoption simple : seuls comptent la nature et le contenu du consentement donné par l'adopté ou son représentant légal. La Cour de cassation le confirma dans un arrêt Fanthou du 10 mai 1995 : « Deux époux français peuvent procéder à l'adoption d'un enfant dont la loi personnelle ne connaît pas ou prohibe cette institution, à la condition qu'indépendamment des dispositions de cette loi le représentant du mineur ait donné son consentement à l'adoption et, en particulier, en cas d'adoption plénière, du caractère complet et irrévocable de la rupture des liens entre le mineur et sa famille par le sang ou les autorités de tutelle de son pays ». Certaines décisions allèrent très loin, qui prononcèrent l'adoption d'un enfant « confié » aux demandeurs par les autorités judiciaires ou administratives de son pays, alors même que cette autorité publique agissait au nom d'un système juridique prohibant ou ignorant l'adoption : il faut et il suffit que ces autorités aient conscience des conséquences qu'aurait le prononcé ultérieur d'une adoption en France. Etait ainsi consacrée, a-t-on pu dire, une sorte de « droit à l'adoption de type français », fondé sur une certaine conception de l'intérêt de l'enfant.
Pour tempérer une jurisprudence jugée trop souple, une circulaire du ministère de la Justice du 14 février 1999 affirma que « La règle de solution de conflit de lois qui renvoie à la loi personnelle de l'adopté en matière de consentement conduit à considérer que l'adoption n'est pas possible lorsque cette loi interdit l'adoption ». Ce texte qui, au demeurant, ne valait que ce valent les circulaires, suscita de vives critiques. Nombre de juges du fond refusèrent de suivre les directives qui leur étaient indiquées. Pour mettre fin à la polémique, la loi du 6 février 2001 sur l'adoption internationale posa, non sans tergiversations, de nouveaux principes : selon l'article 1er de l'article 370-3 du code civil : « Les conditions de l'adoption sont soumises à la loi nationale de l'adoptant ou, en cas d'adoption par deux époux, par la loi qui régit les effets de leur union. L'adoption ne peut toutefois être prononcée si la loi nationale de l'un ou l'autre époux la prohibe ». Selon l'alinéa 2 du texte : « l'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France ». Les deux conditions, naissance en France et résidence habituelle en France, sont cumulatives.
Enfin, en ce qui concerne le consentement donné en vue de l'adoption, l'article 370-3, alinéa 3, reprenant la jurisprudence antérieure, précisa que « quelle que soit la loi applicable, l'adoption requiert le consentement du représentant légal de l'enfant. Le consentement doit être libre, obtenu sans contrepartie après la naissance de l'enfant et éclairé sur les conséquences de l'adoption, en particulier s'il est donné en vue d'une adoption plénière sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant ».
Ces règles ont fait l'objet de nombreux commentaires. On a reproché à l'alinéa 3 d'interdire l'adoption d'un enfant résidant en France depuis de nombreuses années au seul motif que sa loi nationale, avec laquelle il n'a plus aucun lien, interdit l'adoption. Seul devrait compter, dit-on, l'intérêt supérieur de l'enfant ; or cet intérêt est de bénéficier d'une situation stable, sur le plan juridique comme sur le plan affectif, au sein de la famille qui est désormais la sienne : seule l'adoption le lui permet, qu'il s'agisse de son droit de vivre sur le territoire français, de ses droits sociaux, de son nom, de son accès à la nationalité française, etc. Mais on a fait observer que l'intérêt de l'enfant était plus complexe à apprécier. Evalué in concreto, l'intérêt de tel ou tel enfant en particulier semble en effet de pouvoir être adopté. Mais si on l'estime in abstracto (l'intérêt des enfants qui ont besoin de trouver une personne ou une famille qui accepte de les prendre en charge), il n'est pas certain que l'intérêt de l'enfant conduise au prononcé de l'adoption, contre les prescriptions de sa loi nationale. Le respect de la loi étrangère ne s'impose pas seulement sur le plan des principes, mais aussi pour le bien des enfants étrangers et de leurs parents potentiels. L'adoption prononcée en France crée en effet une situation internationalement « boiteuse » puisqu'elle ne sera pas reconnue dans le pays d'origine. De plus, « forcer » la loi étrangère comme le faisait la jurisprudence française risque de fermer à toute forme de prise en charge des enfants les pays hostiles à l'adoption en général ou à l'adoption plénière en particulier. Et la France n'a-t-elle pas ratifié la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale dont l'article 4 a) affirme que l'adoption ne peut être prononcée que si les autorités compétentes de l'Etat d'origine de l'enfant ont établi que l'enfant est adoptable, ce qui ne peut être le cas si l'adoption est interdite d'une façon ou d'une autre dans l'Etat en question ? Certes, la plupart des pays qui prohibent l'adoption n'adhéreront jamais à cette convention. Mais le texte a pour objet de « moraliser » l'adoption : un pays qui l'a ratifié peut-il ouvertement violer un principe qu'il reconnaît solennellement ? La rigueur de la règle ne doit s'effacer que si l'enfant n'a pas de liens concrets avec le pays étranger en cause : lorsqu'il en a la nationalité mais qu'il est né et réside habituellement en France. Dans ce cas, les liens avec la France sont si étroits que la situation doit être soumise dans son ensemble à la loi française.
Les inquiétudes suscitées par la nouvelle règle se sont bientôt traduites par les interprétations restrictives qui en ont été données : la règle ne jouerait que si l'adoption est prohibée ; elle ne s'appliquerait pas si elle est ignorée ou si la loi étrangère ne connaît qu'une forme d'adoption. Elles se sont surtout manifestées par les réticences des juges du fond à en faire une stricte application. Tel est notamment le cas lorsque l'enfant a été confié en kafala aux personnes qui, quelque temps plus tard, en demandent l'adoption au juge français. La tentation est grande de passer outre la prohibition de l'adoption par la loi étrangère en assimilant la kafala à une forme d'adoption simple. Les arrêts du 10 octobre 2006 s'opposent fermement à de telles pratiques : par une juste interprétation de la loi étrangère (I), ils assurent une stricte application de la loi française (II).
[...] De façon générale, le droit français doit imaginer de nouvelles formes de prise en charge de l'enfant par des personnes qui ne sont pas ses père et mère : tel est l'enjeu des discussions actuelles sur le statut du tiers, rendu nécessaire par la multiplication des recompositions familiales et par l'apparition de la famille homoparentale Dans ces différentes hypothèses, l'adoption, plus précisément la création de liens de filiation, ne doit pas être considérée comme la seule possibilité, pour une personne seule ou pour un couple, d'assumer une responsabilité parentale. Mais encore faut-il que les règles sur l'entrée et le séjour et, plus généralement, que le statut de l'enfant pris en charge par une personne qui n'est pas son père ou sa mère, reconnaissent l'existence sinon d'une famille, du moins d'une vie familiale. En ce sens, les débats sur l'adoption internationale et sur la kafala rejoignent les interrogations contemporaines sur la parenté et la parentalité. Bibliographie A. BÉNABENT, Droit civil, La famille 12e éd Litec. [...]
[...] Elle assure également la prise en charge des enfants abandonnés. L'article 116 du code algérien de la famille définit la kafala comme l'engagement de prendre bénévolement en charge l'entretien, l'éducation et la protection d'un enfant mineur au même titre que le ferait un père pour son fils La kafala est établie par un acte légal : acte judiciaire ou acte notarié (art c. fam. algérien). Elle suppose qu'un certain nombre de conditions soient réunies. Le titulaire du droit de recueil légal (kâfil) doit être musulman, sensé, intègre, à même d'entretenir l'enfant recueilli (makfoul) et capable de le protéger (art. [...]
[...] Or, le terme de dénaturation n'est pas utilisé ici. Est-ce à dire que la Cour de cassation entend élargir son contrôle ? Une telle extension n'aurait rien d'absurde au regard de l'évolution du statut de la loi étrangère : la Cour de cassation renforce l'office du juge, qu'il s'agisse de l'obligation du juge d'appliquer la loi étrangère ou des obligations qui pèsent sur lui pour en établir le contenu. En réalité, ce que contrôle ici la Cour de cassation n'est pas la juste application de la loi étrangère mais la bonne application de la loi française. [...]
[...] Elles se sont surtout manifestées par les réticences des juges du fond à en faire une stricte application. Tel est notamment le cas lorsque l'enfant a été confié en kafala aux personnes qui, quelque temps plus tard, en demandent l'adoption au juge français. La tentation est grande de passer outre la prohibition de l'adoption par la loi étrangère en assimilant la kafala à une forme d'adoption simple. Les arrêts du 10 octobre 2006 s'opposent fermement à de telles pratiques : par une juste interprétation de la loi étrangère ils assurent une stricte application de la loi française (II). [...]
[...] Elle tempère les conséquences de la prohibition de l'adoption en droit musulman classique. Cette interdiction trouve son origine dans le Coran lui-même. Les fondements historiques en sont connus : à l'époque du Prophète, l'adoption était pratiquée, l'adopté devenant le fils de l'adoptant, avec les droits et les devoirs correspondants, mais aussi avec les empêchements de parenté qui en découlaient. Le Prophète avait un fils adoptif, Zaïd. Or, celui-ci avait une femme dont le Prophète tomba amoureux. Zaïd répudia sa femme pour permettre au Prophète de l'épouser. [...]
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