A propos de l'article 1384 du Code civil, Georges Rippert disait que « ce qui pourrait arriver de plus fâcheux à ce précieux petit lambeau d'article, c'est d'avoir la prétention d'être un grand principe de responsabilité civile ». Pourtant la Cour de cassation écoutera les conclusions du procureur général Paul Matter au sujet de l'affaire Jand'heur qui l'invitait à « adapter libéralement, humainement le texte aux réalités et aux exigences de la vie moderne ». L'arrêt Jand'heur pris en Chambres réunies, constitue une étape importante dans la mise en place d'un régime autonome et tendant à l'objectivation de la responsabilité du fait des choses dans le soucis de réparer de plus en plus largement les dommages subis par les victimes.
En l'espèce, un camion avait renversé et blessé grièvement une jeune fille, Lise Jand'heur, alors qu'elle traversait la chaussée. La Cour d'appel de Besançon, par un arrêt infirmatif en date du 29 décembre 1925, déboutait la victime de sa demande, refusant d'appliquer l'article 1384 du Code civil et les présomptions qu'il implique en matière de responsabilité du fait des choses. Selon la Cour, la faute du conducteur devait être établi conformément à l'article 1382 du Code civil, la chose à l'origine du dommage étant actionnée par la main de l'homme. La Chambre civile, dans un arrêt du 21 février 1927, cassa l'arrêt de la Cour d'appel au motif que l'article 1384 était applicable, la chose à l'origine du dommage étant dangereuse par nature, et que la présomption ne tombait qu'en cas de force majeure ou de cause étrangère. La Cour d'appel de Lyon, saisie sur renvoi, repris dans un arrêt du 7 juillet 1927 la thèse de la Cour d'appel de Besançon. Suite à un nouveau pourvoi de la victime, les chambres se sont réunies et ont décidé que l'article 1384 du Code civil était applicable en l'espèce et impliquait une présomption de responsabilité, seul le cas de force majeure ou la cause étrangère pouvant y faire obstacle.
Quel est le domaine d'application de l'article 1384 et la portée de la présomption qu'il implique ?
Les restrictions importantes qu'avait posées la jurisprudence dans l'application de l'article 1384 ont été levées dans l'arrêt commenté (I). Les chambres réunies ont également affirmé que l'article 1384 impliquait une présomption de responsabilité. Le choix de la formule a été interprété différemment par la doctrine de l'époque, la jurisprudence ultérieure donnant finalement raison à ceux qui y ont vu une objectivation de la responsabilité du fait des choses (II)
[...] Responsabilité du fait des choses. Commentaire, ch. réunies février 1930 A propos de l'article 1384 du Code civil, Georges Rippert disait que ce qui pourrait arriver de plus fâcheux à ce précieux petit lambeau d'article, c'est d'avoir la prétention d'être un grand principe de responsabilité civile Pourtant la Cour de cassation écoutera les conclusions du procureur général Paul Matter au sujet de l'affaire Jand'heur qui l'invitait à adapter libéralement, humainement le texte aux réalités et aux exigences de la vie moderne L'arrêt Jand'heur pris en Chambres réunies, constitue une étape importante dans la mise en place d'un régime autonome et tendant à l'objectivation de la responsabilité du fait des choses dans le soucis de réparer de plus en plus largement les dommages subis par les victimes. [...]
[...] Même si la cause du fait dommageable est demeurée inconnue la responsabilité du gardien de la chose peut être retenue. La simple intervention de la chose, son rôle actif en tant qu'instrument du dommage suffit donc à faire naître la présomption qui est bel et bien une présomption de responsabilité de part son caractère objectif, indépendant de la notion de faute. Quelques années plus tard, dans un arrêt en date du 24 novembre 1959, la 2ème Chambre civile optera pour l'expression responsabilité de plein droit signe de ce mouvement d'objectivation de la responsabilité parfois tempéré par des arrêts semblant vouloir se rattacher à la notion de faute (Ch. [...]
[...] Pourtant la Chambre civile qui avait statué lors du premier pourvoi posait, dans son arrêt du 21 février 1927, la condition nécessaire et suffisante qu'il s'agisse d'une chose soumise à la nécessité d'une garde en raison des dangers qu'elle peut faire courir à autrui Par conséquent, à la distinction du fait de la chose et du fait de l'homme la Chambre civile substituait la distinction entre les choses dangereuses, par leur nature même, telles que les automobiles, et les choses normalement insusceptibles d'engendrer des dommages. Le juge, en considérant que si le gardien était responsable c'était parce qu'il avait commis une faute en ne gardant pas mieux une chose de nature à produire potentiellement un dommage, manifestait ainsi un retour à la théorie de la faute. Il y avait présomption de faute du fait de la dangerosité de la chose à l'origine du dommage. [...]
[...] Mais cette admission de la responsabilité du fait des choses était très restrictive. Ainsi, seules les choses présentant un vice interne (Civ juin 1896) ou un caractère dangereux et nécessitant donc d'être placées sous la garde de celui qui les détient (Civ février 1927) étaient visées par l'article 1384. En outre l'application de l'article 1384 excluait de son domaine tous les immeubles (Civ juin 1924). L'arrêt du 21 février 1927 constituait un véritable pas en avant en matière de responsabilité du fait des choses puisqu'il admettait l'application de l'article 1384 alors que la chose était actionnée par la main de l'homme mais, en imposant la condition du critère de dangerosité, la Chambre civile maintenait une interprétation très stricte de la notion de chose. [...]
[...] Si les espoirs des partisans de la théorie du risque ont été quelques peu déçus, le lien entre la faute et la responsabilité civile n'ayant pas totalement disparu, Georges Rippert a toutefois limité de façon trop importante la portée de la décision considérée aujourd'hui comme le point de départ de la création d'une responsabilité objective du fait des choses et, plus généralement, d'un mouvement d'objectivation de la responsabilité civile. La garde, à présent au centre de la question de la responsabilité du fait des choses, sera définie quelques années plus tard par la jurisprudence dans le célèbre arrêt Franck pris en Chambres réunies le 2 décembre 1941. [...]
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