voire parfois d'en contredire les effets. C'est tout le travail de la jurisprudence, notamment concernant la sanction de la violation du principe du contradictoire par un rapport d'expertise. Par deux arrêts de la deuxième chambre civile, l'un du 12 juin 2003 et l'autre du 24 juin 2004, la Cour de cassation a apporté d'importantes nuances quant à la portée de la nullité en matière expertale.
Dans l'espèce du 12 juin 2003, une société de production vinicole a constaté la pollution de ses vins du fait, considère t-elle, d'un produit appliqué par la société venderesse dans des cuves servant à la conservation des vins.
Cette société a donc assigné la venderesse ainsi que son assureur.
La Cour d'appel a condamné ces derniers au vu d'un rapport d'expertise amiable et un autre judiciaire mais partiellement annulé.
Ils forment donc un pourvoi en cassation, en estimant que les opérations d'un sapiteur qu'un expert s'adjoint doivent être communiquées aux parties pour qu'elles puissent en débattre contradictoirement, sauf à ce que l'expertise soit entachée de nullité dans sa totalité, ce que la Cour d'appel n'a pas fait.
La Cour de cassation devait donc savoir quelle est la valeur d'un rapport d'expertise partiellement annulé et dès lors si une Cour d'appel est fondée à en utiliser les parties non annulées.
La deuxième chambre civile estime qu'au vu des dispositions non annulées du rapport, aucun doute ne subsistait quant à la relation de cause à effet entre le produit vendu et les dommages subis et dès lors, la Cour d'appel a pu décider qu'il n'y avait pas lieu d'annuler dans leur intégralité les rapports d'expertises et en conséquence rejette le pourvoi.
Dans l'affaire du 24 juin 2004, un jugement avait désigné un expert avec une mission d'évaluation du préjudice. La Cour d'appel a ordonné la réouverture des débats à la suite du dépôt de son rapport par l'expert et enjoignait à ce dernier de préciser et compléter son rapport en donnant connaissance aux parties de l'avis définitif du sapiteur et organiser une réunion contradictoire des parties et de les y convoquer avec leur conseil par lettre RAR et de recueillir les dires écrits et d'y répondre.
Une des parties a formé un pourvoi en cassation sur le moyen que la violation du principe du contradictoire doit entraîner l'annulation totale du rapport et que le dépôt de ce dernier met fin à la saisine de l'expert et que dès lors la Cour d'appel n'était pas fondée à rouvrir les débats sans ordonner une nouvelle expertise.
La Cour de cassation devait donc s'interroger sur la question de savoir si un expert peut être valablement invité à reprendre la partie de ses opérations qui n'avait pas été effectuée contradictoirement et communiquer aux parties la teneur de l'avis du technicien consulté.
La deuxième chambre civile a estimé que « c'est sans violer le principe de la contradiction, ni l'article 6 de la CEDH que la Cour d'appel, qui était en droit, en application de l'article 177 du CPC, de demander à l'expert de reprendre la partie de ses opérations qui n'avait pas été effectuée contradictoirement, a ordonné la réouverture des débats en invitant l'expert à communiquer aux parties la teneur de l'avis du technicien consulté, à recueillir les dires et à leur répondre » et dès lors rejette le pourvoi.
Par ces deux arrêts, c'est un véritable régime de la nullité expertale que la Cour de cassation tente de construire ; dès lors, quel est la teneur de ce régime, quelles en sont les conséquences, quelle en est la pertinence au regard de la lettre des textes et du respect des principes ?
Ainsi, le régime de la nullité expertale tel que dégagé par la Cour de cassation semble pouvoir être résumé à une faculté de réputer non écrite l'opération menée en violation du contradictoire ( I ) tout en aménageant une faculté de régularisation ( II ) permettant de qualifier cette nullité d'absolument relative.
[...] Or, en déposant son rapport, on voit mal en quelle qualité et sur quel fondement juridique l'expert peut être saisi. Autre mal et non des moindres, une telle solution parvient à vider de son entière substance la sanction de la violation du principe du contradictoire : pourquoi prévoir une sanction lorsque, à tout moment, l'expert peut être invité à régulariser la situation ; la violation à ce moment-là a déjà eu cours et quand bien même l'expert reprendrait ses opérations, la situation n'est plus la même rendant cette faculté aussi illogique que dangereuse : le principe du contradictoire devient un droit disponible et une exigence somme toute très relative. [...]
[...] La Cour de cassation devait donc savoir quelle est la valeur d'un rapport d'expertise partiellement annulé et dès lors si une Cour d'appel est fondée à en utiliser les parties non annulées. La deuxième chambre civile estime qu'au vu des dispositions non annulées du rapport, aucun doute ne subsistait quant à la relation de cause à effet entre le produit vendu et les dommages subis et dès lors, la Cour d'appel a pu décider qu'il n'y avait pas lieu d'annuler dans leur intégralité les rapports d'expertises et en conséquence rejette le pourvoi. [...]
[...] On voit mal ce qui pourrait justifier comme en l'espèce une réouverture des débats, postérieurement au dépôt du rapport, à part une sorte d'application rétroactive de l'article 177 du CPC et sans procéder à une nouvelle saisine. En effet, le dépôt de son rapport par l'expert de dessaisi ; il n'y a donc juridiquement plus de lien entre le juge et l'expert, plus aucune obligation ; dès lors, inviter l'expert postérieurement au dépôt de son rapport à régulariser sa mesure revient à user d'un lien qui n'existe plus, sauf à procéder à une nouvelle commission d'expert ce que n'est pas la réouverture des débats. [...]
[...] La Cour de cassation n'a pas voulu avoir une vision trop rigoriste du défaut de respect du contradictoire en refusant de le qualifier de maladie contagieuse à l'entier rapport. Dès lors, il semble que la Cour de cassation applique une sorte de sanction contractuelle, compréhensible de par la nature du lien juridique d'instance, en réputant en quelque sorte la partie du rapport qui ne respecterait pas les principes comme non écrite. Cette sanction nous semble devoir être saluée tant elle est en phase avec les exigences pratiques inhérentes à la mesure d'expertise. [...]
[...] De plus, une application aveugle de la nullité pourrait contrevenir à l'exigence de délai raisonnable tel qu'imposé par la convention européenne de sauvegarde et de protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'elle contraindrait à reprendre une procédure qui, mise à part la nullité de certaines opérations, reviendrait au même, la seule différence, prépondérante en pratique, se ressentant au niveau du temps pris par la procédure. Le régime construit par la jurisprudence était plutôt sévère. Voire trop. [...]
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