Jean CARBONNIER avait mis en exergue " la mentalité nationale où tout pouce de terre est une valeur incommensurable ", ce à quoi Mme REBOUL MAUPIN avait ajouté que c'était donc " un sujet à contestation et à démolition ". Et plus que jamais, ces pensées sont d'actualité, ne cessant de fournir aux tribunaux, un abondant contentieux.
Pour preuve de la " valeur incommensurable " d'un bout de terrain, l'arrêt du 20 mars 2002 de la Troisième Chambre civile. En l'espèce, deux propriétaires de fonds contigus conviennent, par le biais d'une convention, d'ériger une clôture mitoyenne. Or, un expert relève, après la construction de cette clôture, qu'elle dépasse de 0,5 centimètres sur le fonds de l'un d'eux. La propriétaire, victime, qui veut absolument que lui soit reconnue son droit de propriété, assigne son voisin en justice, pour non respect de la convention, et pour violation de son droit ( de propriété ). Le 16 mars 2000, la Cour d'appel de Paris rejette cette demande, au motif que l'empiètement est négligeable ; en d'autres termes, la violation du droit de propriété n'est pas réellement constituée. A la suite de cette décision, un pourvoi est formé. La Cour de Cassation doit se prononcer sur la sanction qu'il est possible de prononcer, en cas d'empiètement dont la mesure est négligeable. Plus concrètement, le juge doit-il exiger la réparation du préjudice résultant d'une clôture, empiétant de 0,5 cm, sur le terrain du voisin ? Au visa de l'article 545, la Cour de cassation souligne que la mesure de l'empiètement ne doit jouer aucun rôle, dans la sanction prévue par la jurisprudence, en pareille circonstance, à savoir la démolition du mur. Ainsi, elle censure la décision de la Cour d'appel.
S'inscrivant dans un courant jurisprudentiel, ancré depuis longtemps, la décision ne surprend pas. Par exemple, le 1er décembre 1971, la Troisième Chambre civile avait déjà reconnu qu'un empiétement de 4 centimètres devait être sanctionné. Ce qui déroute d'autant plus, lorsque l'on constate que la Cour d'appel a, à maintes fois, tenter de faire échec à ces arrêts, en niant les effets juridiques de l'empiétement. Ainsi, deux positions s'affrontent : la Cour d'appel, qui semble faire primer les circonstances de l'empiètement et la Haute juridiction, qui en fait fi ! Cette Cour fait prévaloir le seul constat de l'empiétement, sur toutes autres circonstances. C'est pourquoi, la demanderesse a eu raison de former un pourvoi ; comme l'a écrit SOPHOCLE " qui a le droit avec soi peut aller le front haut " (I). Mais, cette décision peut paraître comme une incongruité, voire comme une aberration, car elle revient à exiger la démolition d'un mur, qui dépasse de 0,5 cm… En pareille circonstance, seuls les ouvriers et maçons en tireront un bénéfice. D'un point de vue plus juridique, cette solution ne manque pas, là non plus, d'incohérence, étant donné que le fondement invoqué par la Cour de cassation, pour justifier sa décision, est incertain, alors que d'autres (fondements) correspondraient davantage (II).
[...] Il n'y a donc aucune expropriation, et le fondement de l'article 545 est anéanti. Il pourrait, dès lors, être judicieux de tenter de trouver de nouveaux fondements. - Défini comme " un grand principe d'équité dominant le fonds du droit " par HAURIOU, la théorie de l'abus de droit devrait pouvoir s'exercer à tous les droits. Mais tel n'est pas le cas, notamment pour le droit de propriété, considéré comme un droit discrétionnaire ( c'est-à-dire qui donne, à son titulaire, une entière liberté d'action et de décision Pourtant, ne peut-on voir un abus de ce droit, lorsqu'un propriétaire se plaint d'un empiètement sur son fonds de 0,5 cm ? [...]
[...] Ces derniers devront démolir un mur mitoyen, toutes les fois que celui-ci empiète sur le terrain de l'un d'eux. Ainsi, quelque soit les circonstances, telles que la mauvaise foi d'un propriétaire, ou la mesure de l'empiètement , la reconnaissance de ce dernier conduit à la même sanction, à savoir la destruction du mur. - Cette décision est facilement attaquable. Mais quelle autre solution pourrait-elle s'imposer ? Ce serait aisé de dire que l'empiètement ne doit pas conduire à la démolition de l'ouvrage, s'il est de moindre importance. [...]
[...] De surcroît, il faut relever qu'elle a attendu la fin de la construction pour faire cette demande. Il est clair qu'elle a agi dans l'intention de nuire à son voisin. Or, cet aspect n'est même pas relevé par la Cour de cassation. Cet arrêt laisse donc la porte ouverte à tous les propriétaires de terrain, qui voudraient agir en justice, dans la seule intention de nuire. Ce qui conduit à une éventuelle reconnaissance d'un abus de droit. B. D'éventuels autres fondements - Le fondement de l'arrêt commenté, l'article 545, est réfutable, dans la mesure où ce texte ne vise que les expropriations pour cause d'utilité publique, et celles pour cause d'utilité privée, par une interprétation a contrario, selon la Cour de cassation ; ce qui revient à dire que l'empiètement est une forme d'expropriation. [...]
[...] Par exemple, le 1er décembre 1971, la Troisième Chambre civile avait déjà reconnu qu'un empiétement de 4 centimètres devait être sanctionné. Ce qui déroute d'autant plus, lorsque l'on constate que la Cour d'appel à maintes reprises, tenté de faire échec à ces arrêts, en niant les effets juridiques de l'empiétement. Ainsi, deux positions s'affrontent : la Cour d'appel, qui semble faire primer les circonstances de l'empiètement et la Haute juridiction, qui en fait fi Cette Cour fait prévaloir le seul constat de l'empiétement, sur toutes autres circonstances. [...]
[...] Pour pallier à cette lacune, la jurisprudence a décidé, depuis l'arrêt du 10 juillet 1962 ( Troisième Chambre Civile ) d'utiliser l'article 545. En somme, elle considère qu'un empiètement est une expropriation pour cause d'utilité privée, ce qui est prohibé, par une interprétation a contrario de cet article ( qui n'admet que les expropriations pour cause d'utilité publique - Ainsi, on constate une stricte application de la lettre de l'article 545, dont on peut déplorer qu'elle conduise à des absurdités et mette en exergue la raideur du droit, comme en l'espèce. [...]
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