« On peut appliquer deux catégories différentes de règles aux relations des parties pour l‘exécution d'une même mission ». Par cette phrase, Michel JEANTIN nous résume l'une des difficultés majeures de la matière du droit civil des contrats spéciaux. En effet, divers contrats peuvent se combiner pour n'en former qu'un; tel est le cas du bail à complant qui constitue un mélange de location de chose et de prestation de travail. Dès lors, se pose la question des règles applicables. Pour ce faire, le contrat considéré doit être qualifié. Or, cette opération de qualification, qui peut sembler anodine au premier regard, peut donner lieu à de nombreux débats.
Ainsi, en va t-il de l'arrêt du 3 juillet 2001, de la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation, dans lequel un litige oppose M. GUEDJ, propriétaire du cheval Classic Crown, à M. LHOMET, à qui il a confié son animal par contrat. Le dépositaire avait « l'obligation d'entraîner (l'animal), de l'héberger et de lui donner des soins, en contrepartie, il percevait une rémunération mensuelle ». Or, le 13 juillet 1993, alors que la veille, le dépositaire avait quitté l'écurie, en laissant le cheval en bonne santé, il le retrouve dans un état comateux, à la suite duquel un vétérinaire est obligé de l'euthanasier. Par conséquent, le propriétaire de l'animal assigne en justice le dépositaire, et son assureur (Generali France assurances), afin d'obtenir des dommages et intérêts. Le 13 janvier 1999, la Cour d'appel de Rouen le déboute, au motif que le contrat litigieux s'apparente à un contrat d'entreprise, qui ne comporte « qu'une obligation de moyen quant à la sécurité de l'animal, même en dehors de l'entraînement ». D'autre part, elle a mis en évidence l'absence de faute du dépositaire, qui ne serait donc pas à l'origine de la mort de l'animal. A la suite de cette décision, le déposant se pourvoit en cassation.
Au regard des faits, la Cour de Cassation doit se prononcer sur la nature du contrat considéré, afin de déterminer, par la suite, le régime qui doit lui être appliqué. Plus précisément, il s'agit de savoir comment faut-il qualifier un contrat par lequel le propriétaire d'un cheval confie son animal à un entraîneur, pour que celui -ci, en échange d'une rémunération, l'héberge, l'entraîne, et lui prodigue les soins nécessaires. Une fois le contrat qualifié, nous pourrons déterminer quel régime juridique doit être appliqué, en cas de décès de l'animal ; autrement dit, nous devons nous demander si la responsabilité de l'entraîneur doit être recherchée en tant que dépositaire, ou en tant qu'entrepreneur. Il est important de ne pas négliger cet aspect du problème, car selon la solution retenue, le dépositaire sera ou non responsable du décès de l'animal. Or, en l'espèce, la Cour de Cassation estime que le contrat s'analyse pour partie en un contrat d'entreprise et pour partie en un contrat de dépôt salarié. Or, étant donné que l'animal s'est blessé lorsqu'il était dans son box, le dépositaire a violé l'obligation d'hébergement et de soins qui pesait sur lui, en vertu du contrat de dépôt salarié. De fait, il ne peut restituer l'animal à son propriétaire, conformément à ce que prévoit l'article 1915 du Code Civil, qui se rapporte au dépôt. Par conséquent, la Cour de Cassation casse l'arrêt de la Cour d'Appel de Rouen, et renvoie l'affaire devant la Cour d'Appel de Caen.
De prime abord, il apparaît que deux qualifications étaient possibles, pour le contrat litigieux: soit les juges retenaient une qualification unitaire, comme l'a fait la Cour d'Appel, soit ils optaient pour une qualification distributive, solution vers laquelle s'est tournée la Haute Juridiction (I). En ayant recours à un régime distributif, elle soumet le dépositaire à des obligations plus lourdes, qui correspondent certainement le mieux à ce qu'a souhaité le déposant. Pour autant, cette solution est-elle vraiment juste, au regard de la difficulté de veiller sur un animal (II)?
[...] - A priori, cette obligation de restitution est de résultat. Cependant, nous pouvons nuancer cette affirmation, dont la Cour de Cassation semble avoir une autre vision : le 22 novembre 1988, la chambre commerciale précise que le dépositaire n'est tenu que d'une obligation de moyens [ ] et il est exonéré de l'obligation de restituer la chose lorsqu'il rapporte la preuve d'absence de faute ou de négligence de sa part De même, le juriste Rémy qualifie d'obligation de moyen renforcée la responsabilité du dépositaire ; celle de l'entrepreneur est une obligation de moyen. [...]
[...] Pourtant, il apparaît que la Cour de Cassation laisse une possibilité au dépositaire de s'exonérer de sa responsabilité A. Les conséquences du choix du recours au régime distributif - En optant pour un régime distributif, il est logique que la Cour de Cassation retienne la responsabilité du dépositaire et casse la décision de la cour d'appel. En revanche, si l'accident avait eu lieu pendant l'entraînement, la question de qualification du contrat ne se serait pas posée dans les mêmes termes, car le contrat d'entreprise aurait régi cette situation. [...]
[...] Il lui est donc plus difficile de restituer cette chose, dans l'état dans lequel elle lui avait été remise. Il faut tenir compte de l'aléa que comporte son obligation de garde. Cependant, pour le propriétaire, cette solution est plus avantageuse, et surtout plus respectueuse de ses intentions. Il faut avoir présent à l'esprit que non seulement, il ne pourra plus faire courir son cheval dans des courses (ni le faire participer à des concours) et en tirer un bénéfice, de plus, il a perdu la valeur du cheval (valeur pécuniaire, et éventuellement morale). [...]
[...] La distributivité des règles du contrat d'entreprise et du contrat du dépôt salarié - La qualification d'un contrat étant une question de droit, la Cour de Cassation peut et doit requalifier un contrat, si elle le juge nécessaire. Tel est le cas en l'espèce. - Elle opte pour la qualification distributive, et opère un dépeçage du contrat, autrement dit chaque type de relation est soumis aux règles du contrat auxquels il est rattaché. Elle retient deux contrats : le contrat d'entreprise, en vertu duquel M. LHOMET a la qualité d'entraîneur, et un contrat de dépôt salarié, par lequel il est dépositaire salarié. [...]
[...] En effet, dans le contrat de dépôt, le dépositaire s'oblige à garder, surveiller et restituer la chose dans l'état dans lequel elle lui avait été remise. La garde est l'obligation essentielle du contrat de dépôt. Cette position parait plus logique, et répond mieux à la volonté du déposant. D'ailleurs, rappelons que le dépositaire percevait une rémunération ; sa responsabilité est donc plus lourde que s'il s'agissait d'un contrat d'ami. - De plus, la Cour de Cassation est en contradiction avec la Cour d'Appel, sur la preuve d'une faute. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture