Les rédacteurs du Code civil, en formulant l'alinéa premier de l'article 1384, n'avaient probablement pas imaginé l'immense débat doctrinal qu'ils allaient faire naître presque deux siècles plus tard. Pour Portalis, Tronchet, Maleville et Bigot de Préameneu, il ne s'agissait bien évidemment que d'un texte de transition pour annoncer les cas de responsabilité du fait d'autrui qui ne sont que des exceptions à la responsabilité du fait personnel. Ces cas sont limitativement énumérés aux alinéas quatre et suivants. Lorsque la jurisprudence a opéré un revirement par l'arrêt Blieck du 29 mars 1991, un nouveau cas de responsabilité du fait d'autrui a été reconnu. Celui de la responsabilité d'une association qui avait accepté d'organiser, de contrôler à titre permanent le mode de vie d'un handicapé mental majeur. La doctrine s'est alors divisée. Certains auteurs y ont vu l'affirmation d'un principe général de responsabilité d'autrui tandis que d'autres percevaient une simple reconnaissance d'un nouveau cas de responsabilité du fait d'autrui. Cet arrêt a été rédigé de manière lacunaire notamment sur les conditions de mise en oeuvre et sur le domaine d'application de cette responsabilité au vue de sa rédaction très proche de l'espèce. Toutefois, les juges ont par la suite ajouté de nouveaux cas. L'arrêt dont il est question en est une parfaite illustration.
En l'espèce, lors d'une séance d'entraînement de rugby préparant une compétition, un membre appartenant à une association sportive manqua le placage d'un autre joueur qui l'évita, ainsi il se blessa en tombant. Il assigna alors l'association ainsi que ses assureurs. Les juges de la Cour d'appel de Pau, confirmant le jugement rendu en première instance, ont déclaré l'association responsable du dommage subi par le joueur blessé. Elle fut ainsi condamnée solidairement avec ses assureurs à lui payer une provision indemnitaire. La cour d'appel a estimé que la chute de la victime avait été causée par un membre de l'association qui l'avait esquivé au moment où la victime allait faire un placage. En ce qui concerne l'admission de la responsabilité du fait d'autrui au cours d'une séance d'entraînement, les juges relèvent que cette séance était préparatoire à la compétition qui allait suivre. Il était alors logique d'admettre cela. Un pourvoi fut alors formé.
La question qui s'est alors posée aux juges de cassation consistait à savoir s'il est possible d'admettre la responsabilité d'une association sportive du fait de ses membres pour les dommages causés lors d'entraînement. De plus, les juges se sont questionnés quant à savoir s'il est nécessaire d'exiger une faute du membre à l'origine du dommage. Ce que la cour d'appel n'avait pas imposé.
Les juges de cassation, par un arrêt en date du 21 octobre 2004, ont cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel avec renvoi devant la cour d'appel de Toulouse. Ils ont posé un attendu de principe remarquable après avoir placé l'article 1384 alinéa premier en visa. Ils ont admis la responsabilité des associations sportives qui ont pour mission à la fois de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres en cas de dommage causé par ces derniers. Ils ont apporté une dernière précision qui n'est pas des moindres. Ils ont exigé pour engager cette responsabilité une faute caractérisée par une violation des règles du jeu. Ceci n'étant pas le cas en l'espèce puisque le joueur à l'origine du dommage n'était allé à l'encontre d'aucune règle imposée par le jeu. C'est pourquoi, en l'absence de cette condition, ils ont refusé d'admettre la responsabilité de l'association
Force est de constater que cette solution porte un intérêt majeur en ce qu'elle confirme la jurisprudence précédente en y apportant toutefois quelques précisions. La Cour de cassation avait admis pour le première fois la responsabilité d'une association sportive pour des dommages causés par leurs membres au cours de compétitions. Dans le présent arrêt, les juges ont repris cette même idée pour un dommage causé pendant une séance d'entraînement préparant une compétition. Ainsi, le domaine de responsabilité des associations sportives est élargie. Elle confirme également la jurisprudence esquissée par un arrêt du 20 novembre 2003 ayant exigé la faute de la part de l'auteur du dommage. Cette question de l'exigence de la faute est assez problématique. On connaît depuis peu une nette tendance à l'objectivisation de la responsabilité. Ce qui est quelque peu contredit pas le présent arrêt. Cet arrêt s'avère très intéressant à la fois novateur et confirmatif.
Ces deux aspects seront envisagés distinctement. Il conviendra d'envisager l'admission de la responsabilité de l'association sportive du fait de ses membres pendant une séance d'entraînement (I). Il s'agira ensuite de constater l'exigence d'une faute caractérisée par la violation d'une règle du jeu pour admettre la responsabilité de l'association (II).
[...] Cette solution s'inscrit parfaitement dans la jurisprudence civile. En effet, très peu de temps avant l'arrêt dont il est question, la Cour de cassation a requis la même exigence dans un arrêt en date du 20 novembre 2003. Quelques mois après, elle a réitéré cette solution dans un arrêt du 13 mai 2004. De plus, ce choix ne concerne pas uniquement les compétitions de rugby. La même solution a déjà été adoptée concernant des dommages causés lors de compétitions de karaté (23 septembre 2004). [...]
[...] Cela n'est pas du tout le cas en l'espèce puisque les juges en exigent une pour engager la responsabilité de l'association. Cette décision vient alors contredire cette tendance en faisant réapparaître la faute alors qu'elle avait été évincée. Cela peut néanmoins se justifier. Si les juges admettaient la responsabilité d'une association sportive alors qu'aucune faute n'avait été commise, cela serait parfaitement discutable. Elles verraient ainsi leur responsabilité engagée à chaque petit dommage créé. Un auteur va même assez loin dans ce raisonnement. [...]
[...] La distinction qui avait été opérée par les arrêts de 1995 en ne prenant en compte que les dommages causés lors de compétition est ainsi abandonnée. Cette solution est parfaitement justifiée. En effet, qu'il s'agisse de compétitions, matches amicaux ou séances d'entraînement, l'association sportive exerce les mêmes pouvoirs de direction et de contrôle sur ses membres. Il est alors tout à fait logique qu'elle doive répondre de tout dommage. Certains n'ont pas hésité à critiquer cette extension qui irait à l'encontre du fondement de la responsabilité : le risque. Il n'existerait pas de véritable risque comme lors des compétitions. Cette analyse peut cependant être contrecarrée. [...]
[...] La seconde application est apparue ultérieurement. Ce cas ne repose plus sur l'idée de garde d'autrui mais sur le contrôle de l'activité d'autrui. Ainsi, par deux arrêts d'Assemblée Plénière en date du 22 mai 1995, la Cour de cassation a admis la responsabilité des associations sportives ayant pour mission d'organiser et de diriger l'activité de leurs membres lors des compétitions. Les espèces étaient similaires : lors de matches de rugby, deux joueurs furent blessés dont l'un d'eux mortellement. Ce n'est plus le seul cas. [...]
[...] Est ainsi appliquée la théorie du risque-profit. Celui qui profite des revenus de l'activité doit en assurer les risques. L'association se trouve dans ce cas. Elle bénéficie des avantages de l'activité sportive. Elle se doit donc d'en assumer les conséquences en cas de dommage. La jurisprudence se place du côté de la victime en permettant son indemnisation. Il est alors normal qu'elle choisisse un responsable en général plus solvable. Ce choix est d'autant plus justifié quand l'auteur du dommage ne peut être déterminé avec exactitude. [...]
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