Cour de cassation, 2e chambre civile, 14 décembre 2017, mort accidentelle, parent, enfant, souffrance résultant du manque, Cornu, dommage, fait générateur, lien de causalité, article 1240 du Code civil, réparation, infas conceptus, nomenclature Dintilhac, Infans conceptus
Le 14 décembre 2017, la 2e chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt de rejet en réponse à un litige présentant un dommage dont l'indemnisation était contestée. En l'espèce, le 9 septembre 2008, M. C, salarié de la société Manpower, est victime d'un accident de travail provoquant son décès. Ce drame arrive alors qu'il est temporairement mis à la disposition de l'entreprise Aon France et que son épouse est enceinte. La veuve assigne alors l'employeur de son défunt mari en justice auprès d'un tribunal des affaires de sécurité sociale au motif d'une « faute inexcusable » de sa part. Elle souhaite obtenir réparation de l'ensemble des préjudices subis par elle-même, mais également par ses enfants. Parmi eux, Zachary, né après l'accident, mais pour qui la mère demande tout de même l'indemnisation du préjudice moral. Les juges de première instance répondirent que la société fautive, Aon France, ainsi que son assureur étaient responsables de l'ensemble des dommages évoqués et devaient donc les réparer. À la suite de cette sentence, un premier passage devant la Cour de cassation le 10 septembre 2015 renvoya les deux parties dans leur état initial devant la Cour d'appel de Metz. Cette dernière statua là encore en la faveur de la famille le 29 septembre 2016. L'entreprise fait grief à cette décision et forme alors un pourvoi en cassation selon un moyen unique à deux branches. En effet, elle rappelle l'indispensabilité du caractère direct et certain du lien de causalité unissant le fait générateur au dommage qu'elle ne considère pas comme présent dans les faits.
[...] Seulement, la mort accidentelle d'un parent qu'on n'a pas connu est-elle liée causalement à la souffrance résultant du manque ? D'après la réponse de la Cour de cassation évoquée précédemment, il semblerait que oui. Cette conception se fonde sur des bases juridiques légitimes cependant elle a aussi ses limites et il existe d'autres perspectives à prendre en compte (II). Une légitimation plausible de cette conception Cette jurisprudence de la Cour de cassation se situe dans la lignée de celles mettant en avant le principe général du droit qu'est « infans conceptus », bien qu'elle en fasse une utilisation tout à fait novatrice Seulement, pour pouvoir l'appliquer, la Cour Suprême va néanmoins devoir justifier le lien de causalité entre l'accident et le dommage qui est suspecté de faire défaut dans ce litige Une nouvelle illustration de l'adage de « infans conceptus » « Infans conceptus » est l'abréviation de l'adage complet « Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur ». [...]
[...] Le risque est que les motifs d'indemnisation finissent par porter sur tout et n'importe quoi. Cette décision soulève également une interrogation concernant le préjudice moral de l'enfant à naître résultant du décès accidentel d'un autre membre de la famille qui n'est pas forcément son parent tel que le frère, la sœur, un grand-parent ou bien encore un parrain. De plus, pour revenir sur la décision rendue en 2005 évoquée plus haut, peut-on dorénavant indemniser le préjudice d'affection des enfants à naître dans le cas où l'un de leurs parents se trouve dans une situation d'invalidité à la suite d'un accident ? [...]
[...] L'entièreté de leurs préjudices est réparée, aucun chef d'indemnisation n'est exclu : « la circonstance qu'un patient se trouve placé dans un état végétatif chronique, ne conduit, par elle-même, à exclure aucun chef d'indemnisation, ni ne fait obstacle à ce que le préjudice subi par la victime soit réparé en tous ses éléments » (CE nov n° 247080). Pour autant, dans cette hypothèse, le préjudice moral n'est pas ressenti dans l'immédiat par la victime et ne le saura qu'au moment de son potentiel réveil. Malgré tout, l'ellipse temporelle séparant l'acte dommageable du ressenti du préjudice moral n'a pas vocation à exclure son indemnisation. [...]
[...] Or, dans le cas présent, Zachary est bien né vivant et viable. De plus, la mort de son père s'est effectivement produite alors qu'il était déjà conçu. Ainsi, on peut considérer que la Cour de cassation a fait une appréciation large de la maxime. En effet, l'application du concept permet ici l'indemnisation du préjudice d'affection de Zachary au même titre que ces frères et sœurs déjà nés. Toutefois, l'utilisation de ce précepte n'est pas une justification suffisante dans le cadre du contentieux étudié. [...]
[...] Or ce dernier les aurait « empêchés de partager avec lui les joies normales de la vie quotidienne » (n° 02-11.999). L'arrêt rendu quant à lui le 22 novembre 2010 excluait l'indemnisation du préjudice d'affection d'un enfant seulement conçu lors du décès de son grand-père (Cour de Cass. chambre civile ; n° 11-21.031). Ainsi, c'est la première fois que la Cour de cassation reconnaît l'existence d'un préjudice d'affection pour un enfant non né lors de la réalisation du dommage amenant à réparation. [...]
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