Un particulier est contaminé par le virus d'immunodéficience humaine (ci-après VIH) des suites d'une transfusion sanguine en milieu hospitalier. Il accepte alors l'indemnisation octroyée par le Fonds d'Indemnisation des Transfusés et Hémophiles (ci-après FITH). Ce régime d'indemnisation spécial est institué par une loi du 31 décembre 1991 dont l'article 47 énonce une indemnisation intégrale du préjudice subi du fait d'une transfusion. Or le transfusé va solliciter ultérieurement les juridictions civiles afin d'obtenir une réparation du préjudice cette fois-ci sur le terrain du droit commun.
La Cour d'appel de Colmar dans un arrêt du 6 décembre 1994 lui a alloué une indemnité qui semble supérieure à celle octroyée par le fonds. La fondation de la clinique où a eu lieu la transfusion se pourvoit en cassation au motif que l'article 47 de la loi de 1991 prévoit une réparation intégrale c'est-à-dire qui tend à vider les prétentions des parties. De ce fait, le transfusé n'aurait plus intérêt à agir.
Or le Conseil d'État dans un avis du 15 octobre 1993 accueille un mécanisme par lequel la procédure d'indemnisation fondée sur le droit commun tendrait à octroyer au transfusé seulement la différence existante avec l'indemnisation octroyée par le FITH. Cette solution qualifiée de limpide par Denis Mazeaud peut-elle s'appliquer en droit civil ? La question ainsi posée à la Cour de cassation est la suivante : est-il possible de demander sur le fondement du droit commun l'indemnisation d'un préjudice déjà indemnisé par un régime spécial ?
[...] Cette crainte est soulignée par Patrice Jourdain qui évoque une politique de surenchère qui mènerait à un contentieux délicat. Cependant il reste que le cumul des actions n'entraîne pas automatiquement le cumul des indemnisations. Il est possible d'imaginer que la Cour de cassation puisse se calquer sur la solution du Conseil d'Etat et, dans le but de mieux indemniser les transfusés, laisse l'opportunité à une juridiction civile d'évaluer l'indemnisation et le cas échéant faire payer la différence à l'institue hospitalier. Or la Cour de cassation ne retient pas cette solution au risque d'aller à l'encontre du droit européen. [...]
[...] En somme la portée de l'arrêt se résumerait à dire aux victimes qu'il ne s'agit pas d'une enchère à l'indemnisation dans laquelle, après avoir accepté l'offre du fonds il serait possible de sonder la juridiction de droit commun mais de devoir effectuer un choix. Celui d'accepter l'offre ou bien de la refuser et dès lors s'en remettre à la juridiction de droit commun pour se voir octroyer une indemnisation. [...]
[...] La question ainsi posée à la Cour de cassation est la suivante : est-il possible de demander sur le fondement du droit commun l'indemnisation d'un préjudice déjà indemnisé par un régime spécial ? Plus largement il s'agit d'étudier la possibilité de cumul des actions. La Cour de cassation répond par la négative et semble étrangement ne pas se conformer à la volonté rémanente de vouloir indemniser au mieux les personnes dites victimes. Pourtant une seconde action dans les conditions établies par le Conseil d'Etat semblait être un bon compromis. [...]
[...] Page 2 L'interprétation à la lettre du régime spécial d'indemnisation des transfusés La Cour de cassation se fonde sur une interprétation de la notion de préjudice pour exclure le cumul des actions A. Une définition implicitement stricte de la notion de préjudice La cour rappelle que le FITH indemnise intégralement les victimes de leur préjudice La cour se réfère ici à tous les préjudices aussi bien pécuniaires, moraux que physiques. Dans un arrêt rendu le 2 mars 1996 par la deuxième chambre civile, la Cour de cassation avait déjà définie le préjudice comme l'ensemble des préjudices de caractère personnel tant physiques que psychiques subis par la victime et résultant notamment de la réduction de l'espérance de vie, des perturbations de la vie sociale, familiale et personnelle ainsi que des souffrances et de leur crainte, du préjudice esthétique et d'agrément, ainsi que de toutes les affections opportunistes consécutives à la déclaration de la maladie De cette définition du préjudice la Cour établit un raisonnement strict : si une autre action en indemnisation doit être engagée par les victimes elle doit l'être pour un préjudice dont elles n'ont pas déjà été indemnisées par le Fonds Dès lors elle rejette la solution qui permettrait au préjudice d'être en quelque sorte réévalué par une juridiction de droit commun. [...]
[...] Les auteurs tels Jourdain et Mazeaud soulignent que les fonds indemnisent en général de façon généreuse. De plus les questions de contamination et de grosses sommes d'indemnisation sont délicates. Fine et perméable est la limite entre la pure réparation du préjudice et une certaine recherche du gain. Cependant il ne faudrait pas que la jurisprudence de la Cour de cassation n'aboutisse à priver les victimes de tout recours et les cantonne à subir les offres que les fonds spéciaux veuillent bien leur donner. [...]
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