Cour de cassation première chambre civile 1er juillet 2010, commentaire d'arrêt, publication litigieuse, atteinte à la vie privée, versement d'une provision, dignité humaine, liberté d'expression, protection post-mortem, droits extrapatrimoniaux
Cet arrêt a été rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 1er juillet 2010. Ilan.X, victime de torture et d'assassinat, fait l'objet d'un article dans le numéro 120 du magazine Choc daté de juin 2009, édité par la société SCPE, et dirigé M.Y. L'article en question fait apparaitre les photographies prises par ses tortionnaires, où il y apparait bâillonné, entravé, visiblement blessé et sous la menace d'une arme à feu.
Les soeurs et la mère d'Ilan.X ont assigné en référé la société SCPE ainsi que M.Y afin de voir ordonner sous peine d'astreinte le retrait de la vente de la publication litigieuse ainsi que le versement d'une provision, en raison d'un trouble manifestement illicite et d'une atteinte à leur vie privée. Par un arrêt du 28 mai 2009, la Cour d'appel de Paris ordonne le retrait des photographies litigieuses représentant Ilan.X dans le numéro à paraître, sous peine d'astreinte, ainsi que le versement par la société SCPE d'une provision aux consorts X.
[...] Ces droits ont valeur juridique et symbolique équivalente et entrainent les juges à réaliser un équilibre des intérêts lorsqu'ils sont confrontés. Or, le principe de dignité humaine, qui interdit que la personne humaine ne soit traitée comme un simple objet ou moyen, est un principe à la valeur supérieure, consacré au niveau du droit international comme national, et plus particulièrement à l'article 16 du Code civil qui dispose que « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ». [...]
[...] Un pourvoi est formé contre cette décision selon le moyen que : - L'atteinte aux sentiments des proches d'une victime d'un crime ne constitue pas une atteinte à leur vie privée ; - L'atteinte à la dignité humaine émane de l'acte même de torture par les tortionnaires, et non pas d'une publication concernant ces faits ; - La publication s'inscrivait dans des faits d'actualité qui, par ailleurs, avaient précédemment été portés à la connaissance du public et ne justifiait ainsi par une ingérence au nom de la protection des droits des tiers. Le problème de droit qui se posait donc aux juges de cassation était le suivant : les proches d'un défunt peuvent-ils évoquer une atteinte à leur vie privée pour faire retirer une publication concernant celui-ci ? [...]
[...] Les juges de cassation optent donc pour une approche très large de la notion de vie privée, puisque cette dernière est reconnue à des individus qui n'ont pas eux-mêmes fait l'objet d'une publication, mais dont l'existence leur cause un préjudice moral. C'est une solution empreinte d'une volonté de plus de justice et de moralité, qui fait primer les intérêts de la victime et de sa famille non pas sur la liberté d'information, mais sur la simple recherche de titres sensationnels, ce à des fins évidemment commerciales. [...]
[...] Ainsi, la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel une publication peut être suspendue dès lors qu'elle concerne un défunt et porte préjudice à ses proches. Par ailleurs, une publication qui serait contraire à la dignité humaine porterait, de fait, atteinte à la mémoire du défunt et donc au droit à la vie privée de ses proches. Ainsi la Cour de cassation donne raison à la famille d'Ilan.X, considérant que la publication le représentant dans des conditions de soumission et de torture constitue une atteinte à la dignité humaine, et donc un préjudice et une atteinte à la vie privée de sa mère et ses sœurs. [...]
[...] Les juges de cassation vont ainsi souligner le caractère choquant de la photographie, qui « suggère la soumission imposée et la torture » et « dont il est constant qu'elle eût été prise par les tortionnaires de Ilan X », c'est-à- dire sous contrainte et dans des conditions de violence. Concernant le ton de l'article, les juges déplorent qu'il démontre une « recherche de sensationnel qui n'était nullement justifié par les nécessités de l'information », soulignant ainsi que l'utilisation de la photographie n'est pas faite à des fins déontologiques, mais bien dans la recherche d'attirer l'attention pour générer un maximum de ventes et de profits. [...]
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