Pendant longtemps, le droit ne s'est guère préoccupé de la mort et ne s'est pas soucié du cadavre. Puis face aux progrès de la science, il devient alors indispensable de se préoccuper de la dépouille mortelle. Les cadavres doivent être traités avec décence et dignité. Le droit civil offre désormais une protection au corps humain avant et après sa mort. Il s'agit d'un principe fondamental. Mais le droit pénal est démuni juridiquement pour réprimer les actes portant atteinte au cadavre. Un arrêt de la Cour d'appel d'Amiens du 26 novembre 1996 est un exemple parfait et troublant de la non-protection de la dépouille.
Informé de l'état de mort cérébral dans lequel se trouve leur fils, les parents consentent aux prélèvements d'organes concernant le cœur, le foie et les reins. Par suite d'une erreur administrative, les parents ont su que les cornées aussi ont été prélevées. Ils déposent plainte et une information pour vol et violation de sépulture a été ouverte.
La question de droit qui a été posée à la Cour d'appel était celle de savoir dans quelle mesure la qualification juridique de vol pourrait-elle être retenue dans le cadre d'un prélèvement non autorisé de cornées sur une dépouille mortelle ?
[...] Ici, la Cour d'appel se fonde sur le principe de l'indisponibilité du corps humain. Indisponibilité signifie l'état d'une chose ou d'une personne indisponible, que l'on n'a pas à sa disposition, que l'on ne peut pas utiliser. Au sens juridique, on entend par indisponible l'état d'un bien, d'un droit ou d'une action qui échappe au libre pouvoir de la volonté individuelle par interdiction ou restriction du droit d'en disposer. La loi s'est bien gardée de dire que le corps humain est indisponible, elle précise seulement que le corps humain et ses éléments ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial. [...]
[...] La Cour d'appel en ne retenant aucune infraction pénale dans cette affaire a été fortement critiquée. En effet, sa non prise de position sur le statut juridique de la dépouille mortelle est compréhensible dans la mesure où ce n'est pas à elle de s'y prononcer face à une Chambre civile de la Cour de cassation silencieuse. Mais la Cour d'appel, en faisant de la dépouille mortelle un rien non protégé frappe et étonne. Et l'excuse de l'indisponibilité du corps humain que la Cour d'appel a invoquée est d'autant plus erronée dans la mesure où elle fait une application extensive du principe en la matière. [...]
[...] En l'espèce, il y a bien une soustraction frauduleuse. La loi Caillavet a instauré le principe du prélèvement d'organes fondé sur le consentement à la fois libre, exprès et révocable du donneur dans le cadre d'un prélèvement in vivo. Les prélèvements d'organes post mortem sont autorisés par le législateur à des fins thérapeutiques ou scientifiques. Le consentement du donneur est présumé (sauf pour les cornées), ce qui signifie qu'il ne faut pas que le donneur s'y soit opposé de son vivant. [...]
[...] Mais il est dangereux de retenir une telle décision comme la Cour d'appel car dans ce cas, les médecins pourront faire des prélèvements sur un cadavre sans craindre des sanctions pénales. Est-ce ainsi qu'on remercie la générosité ? Contrairement à ce que pense la Cour d'appel, on pense que le droit a toujours estimé que le corps chose peut faire l'objet d'actes de disposition, parce qu'il en a toujours été ainsi. Simplement, des raisons d'ordre public ou de morale, encadrent étroitement le commerce juridique du corps chose C'est la cause, le but recherché par la personne qui effectue un acte relatif au corps, que le législateur surveille. [...]
[...] Mais cette décision de la Cour d'appel est largement critiquable. En effet, on considère majoritairement que le corps humain est une chose sacré mais face à un vide juridique pour le protéger, on déplore que la Cour d'appel n'ait pas retenu la qualification juridique de vol à défaut de disposition spécifique. Mais il faut préciser les choses. Certes, la doctrine considère que le cadavre est une chose hors du commerce et sacrée et ainsi mériterait un régime juridique plus élaboré et plus protecteur mais de toutes les façons, le cadavre demeure une chose. [...]
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