La viabilité est-elle une condition requise pour établir un acte d'enfant sans vie ? Par trois décisions du 17 mai 2005, la cour d'appel de Nîmes avait cru devoir répondre par l'affirmative. A tort, selon trois arrêts du 6 février 2008 de la première chambre civile de la Cour de cassation. Dans chacune des trois affaires, l'officier d'état civil avait refusé de dresser un tel acte au motif que la mère avait été accouchée d'un fœtus sans vie, insuffisamment développé pour être reconnu comme un enfant (fœtus de sexe masculin, pesant 400 grammes, après vingt et une semaines d'aménorrhée dans un cas ; fœtus de sexe féminin, 286 et 155 grammes, après vingt et une et dix-huit semaines d'aménorrhée dans les deux autres cas). Les juges nîmois avaient considéré « qu'il s'évince de l'article 79-1 du Code civil que pour qu'un acte d'enfant sans vie puisse être dressé, il faut reconnaître à l'être dont on doit ainsi déplorer la perte, un stade de développement suffisant pour pouvoir être reconnu comme un enfant, ce qui ne peut se décréter mais doit se constater à l'aune de l'espoir raisonnable de vie autonome présenté par le fœtus avant son extinction, qu'en l'état actuel des données de la science, il y a lieu de retenir, comme l'a fait l'officier d'état civil, le seuil de viabilité défini par l'Organisation mondiale de la santé qui est de vingt-deux semaines d'aménorrhée ou d'un poids du fœtus de 500 grammes et qu'en l'espèce ces seuils n'étaient pas atteints ». Ce raisonnement n'a pas trouvé grâce auprès de la Haute juridiction qui pose, pour motiver la cassation, que « l'article 79-1, alinéa 2, du Code civil ne subordonne l'établissement d'un acte d'enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse ».
Ces trois arrêts, fortement médiatisés, ont été salués par certains, mais critiqués, voire redoutés, par d'autres. Leur valeur ne semble pourtant pas contestable (I). Surtout, leur portée ne doit pas être exagérée (II).
[...] De lege ferenda, et dans un souci de conciliation, ne pourrait-on, si l'on souhaite absolument contenir les déclarations à l'état civil, assigner à la viabilité, s'agissant des enfants mort-nés, non point le rôle d'une condition de l'établissement de l'acte d'enfant sans vie, mais celui d'une condition déterminant le caractère facultatif ou non de l'établissement d'un tel acte ? Au plan du droit pénal, les arrêts ci-dessus suscitent une double réflexion. D'abord, parce qu'elle a donné lieu à une abondante littérature, la jurisprudence est bien connue qui refuse de reconnaître l'existence d'un homicide par imprudence lorsque la mort de l'embryon ou du fœtus a été provoquée par l'imprudence d'un tiers. Les critiques de cette jurisprudence n'ont pas attendu les arrêts du 6 février 2008 pour la condamner. Et celle- ci n'est pas remise en cause aujourd'hui. [...]
[...] On peut en admettre au contraire la valeur. La Cour de cassation s'est en effet simplement refusée, dans l'interprétation du texte légal, à consacrer une distinction que celui-ci n'envisage pas ; redonnant par là même à la loi, aux circulaires et aux recommandations non contraignantes leurs places respectives dans la hiérarchie des normes. Pas davantage l'on ne saurait lui reprocher de s'être affranchie de sa jurisprudence du XIXe siècle qualifiant de produit innommé l'enfant à naître non encore viable. La viabilité, dont la relativité des critères est soulignée de longue date parce qu'ils sont dépendants du progrès scientifique, n'a pas pour fonction de définir ce qu'est un être humain, en l'occurrence un enfant, ni le début de la vie humaine. [...]
[...] Et cela, qu'il s'agisse, en l'absence de distinction dans le texte, de la situation de l'enfant né vivant, ne fut-ce que quelques instants, mais mort avant la déclaration, ou de celle de l'enfant mort-né. Or, malgré l'uniformité de cette règle légale, une dualité de régime a été maintenue dans l'instruction générale relative à l'état civil. En 1999, celle-ci s'appuyait encore, pour les enfants morts nés, sur un critère de viabilité fondé, comme jadis, sur une durée minimale de six mois de gestation. [...]
[...] Mais cette évolution concerne-t-elle seulement l'acte d'enfant sans vie ? La critique est en outre réversible, car l'on peut aussi bien juger opportun que certaines douleurs, bien réelles, puissent enfin trouver une réponse digne du droit. On observe également que les arrêts rapportés, pourtant fortement médiatisés, n'ont pas, depuis qu'ils sont connus, agité les foules ni précipité des milliers de déclarants d'enfants mort-nés non viables vers les services de l'état civil. C'est dire que la crainte exprimée par certains d'un engorgement de ces services semble pouvoir être surmontée. [...]
[...] Et comme sa dénomination légale l'indique, il vise un enfant sans vie, et seulement cela. La position de la Cour de cassation, bien plus neutre dans les qualifications que celles des juges du fond, n'est donc pas juridiquement dénuée de pertinence. Ses détracteurs lui font en outre un mauvais procès en exagérant sa portée. II. Leur portée Il n'y a pas lieu d'exagérer la portée des arrêts rendus par la Cour de cassation le 6 février 2008, tant au regard du droit civil que du droit pénal. [...]
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