L'absolutisme du droit de propriété prôné dans l'article 544 du Code civil devient une source de conflit lorsque sont en jeu les intérêts de propriétaires de fonds voisins comme en témoignent les arrêts de la troisième chambre civile de la Cour de Cassation en date du 29 février 1984 et l'arrêt de la Cour d'appel de Grenoble du 30 juin 1998, à travers le problème de l'empiètement.
La théorie de l'empiètement se révèle lorsqu'un propriétaire construit partiellement sur le fonds du propriétaire voisin.
Sans l'arrêt de la Cour de Cassation, une Société civile immobilière fait construire par un entrepreneur un immeuble collectif qui empiète partiellement sur le fonds voisin dont le propriétaire réclame la démolition.
Dans le second arrêt, un propriétaire construit un mur entre son fonds et celui du voisin conformément aux autorisations administratives exigées en l'espèce. Ses voisins ayant constaté un empiétement sur leur propriété de la partie supérieure du mur en réclament la démolition.
Chacun de ces arrêts met en avant le caractère limité de l'empiétement ainsi que la bonne foi des constructeurs, tout comme l'inexistence d'une gêne particulière causée par l'empiètement. Ces arguments sont soulevés, d'une part, par les demandeurs au pourvoi dans le premier arrêt, d'autre part, par les premiers juges dans l'arrêt de la Cour d'appel. Ces moyens sont invoqués dans le but d'éviter la sanction de l'empiètement sur les constructions en question. Il s'agit de se demander si l'empiètement limité d'une construction sur le terrain d'autrui par un constructeur de bonne foi ne privant pas le fonds en question de son utilité doit ou non être sanctionné par la démolition ?
Les solutions aux deux décisions sont divergentes. Ainsi, la troisième chambre civile de la Cour de Cassation, se fondant sur l'article 545 du Code civil, retient que l'empiètement, quelque soit son ampleur et la manière dont il a été commis, doit être sanctionné par la démolition de la construction litigieuse.
En revanche, la Cour d'appel, statuant plus de dix ans après la Cour de Cassation, retient que la défense du droit de propriété ne doit pas dégénérer en abus et que l'empiétement minime, réalisé de bonne foi et ne gênant pas le propriétaire du fonds le subissant, ne saurait être sanctionné par la démolition qui présenterait un « caractère manifestement excessif par rapport à l'atteinte au droit de propriété ».
La portée de ces deux décisions est indiscutablement différente en ce sens que l'autorité de la Cour de Cassation est fondamentalement supérieure à celle d'une Cour d'appel. Toutefois, l'étude de ces deux arrêts permet de mettre en lumière le désaccord des juges du fond qui semblent vouloir obtenir un revirement de jurisprudence de la Cour suprême.
Il convient de mettre en lumière que tous les juges rappellent que le droit de propriété doit être protégé contre l'empiétement (I) mais que leur point de vue diverge quant à l'appréciation qu'il faut retenir pour la qualification d'un empiétement (II).
[...] L'interprétation retenue est une appréciation in abstracto de l'empiètement, selon laquelle il suffit que l'empiètement soit constaté pour qu'il donne lieu à démolition des immeubles concernés. Peu importe donc que la construction ait été érigée de bonne foi par le constructeur. Un arrêt de la troisième chambre civile en date du 12 juillet 1977 avait déjà posé ce principe repris en 1984. De la même façon, l'ampleur de l'empiètement n'a pas à être prise en compte et l'arrêt en question reprend une jurisprudence déjà établie en ce sens (Civ. III juin 1979). [...]
[...] Commentaire d'arrêts comparés : Civ III février 1984 et CA Grenoble juin 1998 L'absolutisme du droit de propriété prôné dans l'article 544 du Code civil devient une source de conflit lorsque sont en jeu les intérêts de propriétaires de fonds voisins comme en témoignent les arrêts de la troisième chambre civile de la Cour de Cassation en date du 29 février 1984 et l'arrêt de la Cour d'appel de Grenoble du 30 juin 1998, à travers le problème de l'empiètement. [...]
[...] Ces arguments sont soulevés, d'une part, par les demandeurs au pourvoi dans le premier arrêt, d'autre part, par les premiers juges dans l'arrêt de la Cour d'appel. Ces moyens sont invoqués dans le but d'éviter la sanction de l'empiètement sur les constructions en question. Il s'agit de se demander si l'empiètement limité d'une construction sur le terrain d'autrui par un constructeur de bonne foi ne privant pas le fonds en question de son utilité doit ou non être sanctionné par la démolition ? Les solutions aux deux décisions sont divergentes. [...]
[...] En 1990, la même chambre de la Cour de Cassation a consacré le fait que la défense du droit de propriété ne saurait dégénérer en abus (CivIII juin 1990) mais il semblerait que la jurisprudence soit très hésitante sur ce point car adopter ce point de vue entraîne une diminution des sanctions de l'empiètement qui est pourtant une atteinte au droit de propriété. On peut supposer que c'est à cause de ces fluctuations jurisprudentielles que les juges du fond ont à nouveau soutenu que la défense du droit de propriété ne doit pas dégénérer en abus dans leur arrêt de 1998. [...]
[...] Ensuite, les juges évoquent que l'empiètement en question est très limité et que la gêne qu'il provoque n'est pas établie. En fait, les juges se livrent à un contrôle de proportionnalité entre l'empiètement et la sanction qui doit le sanctionner. En l'espèce, ils considèrent que la démolition présent un caractère manifestement excessif par rapport à l'atteinte théorique à la propriété Par conséquent, les juges prônent une relativisation du droit de propriété contrairement à la Cour de Cassation que met en exergue son caractère absolu. [...]
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