Le législateur peut-il transformer la réalité des faits selon ses convenances ?
Définie par le vocabulaire Cornu à la fois comme un mensonge et un bienfait de la loi, la fiction juridique lui en donne la possibilité.
Il s'agira, au moyen d'un artifice de technique juridique, de supposer vrai un fait pourtant contraire à la réalité. Ce sont alors les juges qui se trouvent dans une situation délicate, notamment lorsque la fiction engendre des effets aberrants : faut-il privilégier la loi ou la réalité des faits ?
C'est à cette question que la 3e chambre civile de la Cour de cassation a tenté de répondre dans un arrêt, publié au bulletin, le 27 février 2013, à propos de l'article 1178 du Code civil.
Un acte SSP est signé le 15 décembre 2007 entre une SCI (le vendeur) et des personnes physiques (les acheteurs) en vue de l'acquisition d'un terrain à bâtir. On peut hésiter sur la qualification à donner à cet avant-contrat, mais, au vu des faits et à défaut de précisions supplémentaires, il semble que ce soit une PSV.
Cet acte comprend une faculté de substitution au bénéfice des acheteurs : il est prévu qu'ils peuvent se substituer toute personne morale de leur choix.
En outre, conformément à l'article L.312-16 du Code de la Consommation, la promesse est passée sous condition suspensive de l'obtention d'un prêt répondant aux caractéristiques stipulées dans l'acte. Il est prévu que l'offre de prêt devra être émise au plus tard avant le 31 janvier 2008.
[...] La jurisprudence sanctionne par la nullité absolue les conventions souscrites au nom d'une société en formation (Com février 2012, 10- 27.630 celle-ci n'ayant pas la personnalité juridique lui permettant de contracter. Les acquéreurs auraient donc dû demander le prêt en leur nom propre. Puis, après l'immatriculation, mettre en œuvre la faculté de substitution et décider, en Assemblée générale, de la reprise du prêt par la société. Ils auraient ainsi échappé tout à la fois à la sanction de l'article 1178 et à celles du Droit des sociétés. [...]
[...] Un élément vient pourtant perturber ce raisonnement : la SCI, n'ayant pas encore été immatriculée, était dépourvue de la personnalité morale. Or, la clause de substitution faisait référence à la faculté, pour les bénéficiaires, de se substituer toute personne morale de leur choix. De plus, seules les personnes peuvent être titulaires de droits. Il n'est donc pas certain, dans ces conditions, que la mise en œuvre de la clause ait été efficace. Quoi qu'il en soit, il semble que les acquéreurs s'y soient très mal pris. [...]
[...] En l'espèce, la solution peut se comprendre : la SCI était en cours de constitution. Or, on sait que les garanties financières offertes par une société en formation sont moindres que celles présentées par une personne juridique à part entière. Quoi qu'il en soit, la solution aurait été différente si la faculté de substitution stipulée dans la promesse avait été mise en œuvre Une solution à nuancer en présence d'une faculté de substitution La Cour de cassation dispose que la CA, devant laquelle il n'était pas soutenu que les acquéreurs avaient exercé la faculté de substitution prévue à l'acte, en a déduit à bon droit ( ) Il faut en déduire, a contrario, que s'il avait été soutenu que les acquéreurs avaient exercé la faculté de substitution, ces derniers auraient pu justifier d'une demande de prêt conforme aux stipulations contractuelles et ainsi échapper à la mise en œuvre de l'article 1178. [...]
[...] En revanche, en cas de mauvaise volonté de l'acheteur joue comme une sanction pour ce dernier : tout se passe comme si la condition s'était réalisée. La promesse est donc consolidée. À partir de là, soit on a une PUV : dans ce cas, l'acquéreur conserve la possibilité d'acheter ou de ne pas acheter, mais, s'il n'achète pas faute de prêt, l'indemnité d'immobilisation reste acquise au vendeur, soit on a une PSV : dans ce cas, le vendeur peut contraindre l'acheteur à conclure la vente (la promesse de vente vaut vente). [...]
[...] En l'espèce, la Cour de cassation décide d'appliquer 1178 : elle rejette le pourvoi. Elle décide qu'est réputée accomplie la condition suspensive stipulée dans une promesse de vente si la demande de prêt a été présentée par une SCI et non par le débiteur lui-même et si celui-ci ne s'est pas prévalu de la faculté de substitution contractuelle. Au vu de cette solution, on peut dire que la Cour de cassation fait preuve de pragmatisme dans l'appréciation des conditions d'application de l'article 1178 En revanche, lorsque celles-ci sont remplies, la fiction juridique produira des effets assez durs pour l'acheteur (II). [...]
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