Commentaire d'arrêt, Première Chambre civile, Cour de cassation, 22 juin 1955, Caraslanis, couples internationaux
« Le mariage, c'est des remparts à abattre, des fleuves à détourner, des volcans à éteindre ». Si Robert Sabatier s'efforce à énumérer dans cet extrait du « Chinois d'Afrique », de manière assez imagée, les difficultés du mariage, il semble oublier celle de la qualification des catégories pour les couples internationaux. C'est justement sur ce sujet que revient l'arrêt de principe de la Première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 22 juin 1955, dit Caraslanis.
En l'espèce, M. Caraslanis, citoyen grec, fait une demande reconventionnelle en nullité de son mariage avec Mme Dumoulin, citoyenne française, suite à la demande de divorce de celle-ci devant le Tribunal de Paris. Celui-ci invoque que le mariage civil, prononcé à Paris le 12 septembre 1931, n'est pas valable, faute de célébration religieuse comme l'exige l'article 1367 du Code civil grec. Il invoque que cette condition est une condition de fond du mariage et que dès lors elle doit être régie par la loi grecque, loi personnelle de l'époux. À cet égard, à Paris comme à Athènes, les conditions de fond du mariage sont régies par la loi nationale tandis que les conditions de forme relèvent de la loi du lieu de la célébration. En première instance il voit sa demande rejetée et la validité de son mariage reconnue. Il interjette appel, mais la Cour d'appel de Paris confirme cette décision. M. Caraslanis se pourvoit alors en Cassation.
[...] Il convient de souligner les mérites de la position de la Cour de cassation en ce sens où, se trouvant en France et de plus est devant le juge français, les parties ont pu légitimement s'attendre à ce que la qualification du caractère religieux du mariage soit appréhendée par la loi française. Considérer que Caraslanis n'avait pas cette intention en 1931, quand il se mariait devant le maire du 10e arrondissement, serait admettre la mauvaise foi de cette personne qui mériterait alors l'application à son égard de la qualification française. [...]
[...] Pour ne prendre qu'un seul exemple, l'affaire du 28 janvier 2015 de la première chambre civile, touchant à des considérations sensibles du mariage telles que la possibilité de son ouverture aux couples homosexuels, fait une lecture par définition lege fori de ce qui relève de l'ordre public international français. Déjà la juxtaposition des termes interprétation lege fori et ordre public international du for semble redondant. Néanmoins même l'exemple des lois de police et surtout celui de l'ordre public international viennent conforter l'idée que la qualification lege fori n'est pas en soi contradictoire à l'esprit de la règle de conflit bilatérale. [...]
[...] Fixation du moment d'intervention de la règle de conflit Qualifier lege fori les catégories de fond ou de forme, tout en admettant l'application de principe de la loi nationale des époux n'est pas contradictoire ni en soi ni par rapport à la règle de conflit bilatérale. En effet, la Cour de cassation procède à une construction intellectuelle d'une clarté enviable faisant comprendre que si Caraslanis invoque la non prise en compte de la lege causae normalement applicable, même en matière de qualification, en réalité Caraslanis se trompe. [...]
[...] Cela serait un tempérament à la théorie bilatérale qui veut la désignation d'une loi entre un choix de plusieurs lois, mais n'aboutirait pas à un strict unilatéralisme. Or, la Cour de cassation ne peut s'assurer de l'application de ce principe de qualification lege fori que pour le juge français. Ainsi, par le biais du contrôle que la Cour exerce au juge français, elle garantit l'applicabilité de la loi française à la situation de conflit de qualification, et cela au détriment de la règle de conflit qui vient donner compétence à une autre loi. [...]
[...] Cela suppose, pour la Cour, de considérer la qualification comme étape du raisonnement conflictuel, préciser le moment d'intervention de ce raisonnement et de ce fait bouleverser l'approche en matière de conflit de catégories de manière permanente. Si l'évolution jurisprudentielle depuis lors n'a pas admis de dérogation à la règle Caraslanis ; l'affinement de l'analyse juridique, rendue nécessaire par la précision requise au regard de situations contemporaines de plus en plus compliquées, tend à tempérer le raisonnement pourtant clair de cette affaire. [...]
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