Le 24 mars 1987, la Première Chambre civile de la Cour de cassation a eu à juger d'une affaire sur l'authenticité d'une œuvre d'art.
En l'espèce, un particulier a vendu en 1933 un tableau nommé « Le Verrou » aux enchères publiques, et ce, juste avant son décès. Le problème de l'affaire vient de l'authenticité de l'œuvre qui, lors de la vente, a été « attribué(e) à Fragonard », donc les vendeurs n'en étaient pas certains. Cependant, suite à la vente du tableau il s'est avéré qu'il s'agissait bien d'un Fragonard et il a donc été reconnu comme tel par des experts.
Les héritiers du vendeur saisissent la justice et demandent l'annulation de la vente pour erreur. Le Tribunal de première instance les déboute de leur demande et interjette appel. Dans un arrêt confirmatif du 22 juin 1985, la Cour d'appel de Paris indique que l'expression utilisée lors de la vente aux enchères « attribué à… » souligne que le vendeur savait le caractère douteux de l'authenticité du tableau et par conséquent, l'acheteur le savait également.
[...] Tout comme les juges du fond avant elle, la Cour de cassation rend sa décision en se fondant sur le consentement éclairé du vendeur à vendre son tableau, qu'il soit de Fragonard ou pas, en acceptant ainsi de ne pas faire machine arrière au cas où une nouvelle expertise du tableau, une fois le contrat de vente signé, lui attribuerait une authenticité comme étant une véritable œuvre de Fragonard. La Cour de cassation juge que le doute sur l'authenticité de l'œuvre d'art lorsqu'il est entré dans le champ contractuel est exclusif de l'erreur, il n'est pas possible d'alléguer un vice du consentement quand le doute était entré dans le champ contractuel c'est-à-dire lorsque les deux parties étaient d'accord sur l'existence d'un doute. Cette décision a une portée essentielle puisqu'elle place un obstacle à l'action en nullité pour erreur substantielle dans un contrat avec aléa sur l'authenticité. [...]
[...] Cependant, bien que la Cour de cassation indique que l'erreur sur la valeur n'est pas cause de nullité, il se peut qu'elle le soit si elle découle d'une erreur substantielle et c'est exactement ce qu'énonce l'article 1110 du Code civil qui dit que l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet En effet, l'erreur substantielle peut causer une erreur non négligeable sur la valeur pécuniaire de l'œuvre d'art. Après avoir vu en quoi consistait le caractère douteux du tableau et ce que cela apportait, il est important de comprendre pourquoi la Cour de cassation a rejeté le pourvoi des héritiers quant à la nullité du contrat. [...]
[...] Ici il faut se demander si un aléa sur l'authenticité d'un tableau dans un contrat de vente forme une erreur apte à annuler ce contrat. Le 24 mars 1987, la Première Chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi aux motifs qu'à partir du moment où l'expression attribué à est utilisée pour une œuvre d'art, cela signifie qu'un doute plane et par conséquent, l'aléa sur l'authenticité de l'œuvre était aussi bien connu du vendeur que de l'acheteur. De plus, les héritiers ne peuvent prouver que le vendeur était dans une conviction erronée et l'aléa sur l'authenticité était de toute manière envisagé dans le contrat ce qui fait que le doute sur le tableau ne pouvait en aucun être remis en question si l'authenticité de l'œuvre était soulevée après la vente. [...]
[...] Suite à quoi les héritiers du vendeur, alors décédé, ont saisi la justice pour annuler la vente effectuée en 1933 sur le motif que la conviction du vendeur était erronée au moment du consentement du contrat. La Cour de Cassation en l'espèce rejette leur demande ce qui peut être critiquable en tant que le vendeur a commis une erreur substantielle du tableau puisque celui-ci étant un Fragonard, cela relève directement de sa substance principale et qu'au moment de la vente le vendeur ne l'a pas vendu en tant qu'original. [...]
[...] Cela dit, le vendeur n'avait apparemment aucun doute sur l'origine du tableau qui doit être normalement vendu avec la mention de ou par ce qui permet à l'acheteur d'être assuré de ne pas acquérir une fausse œuvre, mais avait un doute sur son authenticité puisque le tableau était vendu avec la mention attribué à ce qui permet d'avoir des précisions quant à l'époque où l'œuvre a été faite. Ainsi donc, il est tout à fait possible de contracter quant à la vente d'un tableau à partir du moment où les deux cocontractants acceptent qu'il y ait un aléa sur l'authenticité comme en l'espèce puisque l'œuvre a été vendue alors qu'un doute planait sur son origine. L'expression attribué à étant clairement mentionnée lors de la vente aux enchères, on peut considérer qu'elle fait partie à part entière du champ contractuel. [...]
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